Cours - Droit des biens - 1re - 267

Les concepts de possession et de propriété

droit et de bonne foi avec ses voisins. La proprietas apparaît dès cet instant comme la
qualité reconnue à une chose dans une perspective de relation entre les personnes, de
sorte que les prérogatives aujourd'hui habituellement attachées au droit de propriété
n'apparaissaient pas en tant que telles en droit romain qui la caractérise davantage par
la faculté d'exclure autrui127128. Un texte du IIe siècle en donne la dimension : « Qu'est-ce
que c'est que l'arpentage ? C'est une discipline admirable qui sert à appliquer à des
espaces sans limites les bornes de la raison »129. Ce sont les Quirites (citoyens romains)
qui ont défini à leur usage exclusif le droit de propriété sur les terres et ce, par les caractéristiques qui le composent encore aujourd'hui : l'usage, la jouissance et la disposition
(le jus utendi, fruendi et abutendi). Ce pouvoir conçu comme absolu du propriétaire ne
s'incline pas moins devant des exigences qui le dépassent, qu'il s'agisse du respect de la
propriété voisine130 ou de l'intérêt public131. À la fin de l'Empire romain, le système du
colonat annonce la théorie du double domaine132. Ceci étant, dès le Bas-Empire romain
les systèmes s'étaient éloignés de la conception gaienne de la propriété pour se diriger
vers la reconnaissance de « propriétés simultanées », qui ont surtout prévalu du Haut
Moyen Âge à la Révolution133.
Mais il faudra d'abord passer l'époque franque durant laquelle domine la possession des
terres franches (les alleux) et la vaine pâture qui autorise tout un chacun à conduire ses
bestiaux dans un champ laissé en jachère. Le régime féodal en admettra aussi des illustrations, comme le droit de grappillage qui autorisait certaines catégories de personnes
tels les veuves et les orphelins à cueillir les grappes de raisins laissés sur les vignes, ou
le droit de chaume qui autorisait les pauvres à se saisir du chaume laissé par les moissonneurs pour en faire toiture ou fourrage. L'Ordonnance sur les Eaux et Forêts de 1669
viendra régler les comportements à l'égard de la forêt et les usages forestiers134. La pression féodale conduira progressivement aux terres données à titre de fief ou en censive.
Divisée en un domaine direct ou éminent et en un domaine utile, la terre est confiée par
le seigneur à son paysan comme rétribution, à titre précaire. L'un exploite et tire l'utilité
du bien, l'autre détient justice et reçoit des services. Mais le fils du premier lui succédera
dans l'exploitation... tant et si bien que le domaine direct finit par n'être plus que le droit
pour le seigneur de se faire reconnaître comme tel et d'exiger en conséquence l'exécution
des corvées et redevances associées. Pothier parlait de domaine de supériorité. Quant au
domaine utile, il comprenait le droit de faire usage de la chose, d'en tirer jouissance et
d'en disposer, à charge de reconnaître en seigneur celui qui en avait le domaine direct.
On voit qu'avec les caractéristiques attachées au domaine utile, le véritable propriétaire,
était là !
127. M. VILLEY, « Notes sur le concept de propriété », in Critique de la pensée juridique moderne (douze autres essais), Dalloz, 1976,
spéc. p. 195.
128. Adde F. ZENATI, « L'immatériel et les choses », Arch. phil. droit. Le droit et l'immatériel, 1999, t. 43, spéc. p. 85.
129. Cité par Y. THOMAS, Territoires et sociétés, du local au global, 26 févr. 2000 :
http://www.cite-sciences.fr/francais/ala_cite/affiche/savoir/telechargement/droit_fs.htm
130. V. déjà Solon, 640-558 av. J.-C. in Ph. MALAURIE, Anthologie de la pensée juridique, p. 11.
131. J. GAUDEMET, p. 227.
132. L'exploitation des grands domaines était confiée à des colons : 100e Congrès des notaires, Code civil. Les défis d'un nouveau
siècle, ACNF, 2004, pp. 37-38.
133. A.-M. PATAULT, nº 1 et s. et nº 209, à propos de CA Nancy, 16 août 1832, S. 34. 1. 720 qui est la première à retenir cette
expression.
134. Le système élaboré a, pour M. BOULET-SAUTEL, « Le "vol de bois" au Conseil du Roi (1777) », in Mél. J. Imbert, PUF, 1989, p. 87,
su trouver le mi-chemin entre l'absolutisme législatif et la dignité du pauvre.

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