Bibliothèque d'histoire du droit et droit romain - L'École de Le Play et le droit - Tome 34 - 247

LA DIFFUSION DE L'ESPRIT SOCIAL LEPLAYSIEN DANS LE DROIT

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En outre, Jules Michel affirme également qu'à côté des lois naturelles, il y a « des
règlements, expression des besoins variables des diverses nations, suivant les temps et
les lieux »181. Le discours leplaysien affirme par conséquent fermement que le
droit est irréductible à la loi182 : non seulement il dépasse l'étroit positivisme de
certains juristes par l'existence de coutumes, mais il s'en abstrait également par
l'existence de la loi divine, qu'il ne fait que constater. L'emploi par trois auteurs
du vocable « règlement » pour désigner la loi civile est significatif du dénigrement
qu'elle subit de la part de l'École. À l'inverse, le Décalogue est paré du mot « loi »,
qui prend alors un sens particulier, accompagné d'un adjectif mélioratif : la loi est
divine, suprême, immuable, ou encore perpétuelle. En somme, les lois civiles ne
doivent être que des « applications variées des principes supérieurs invariables »183.
354. Aussi le devoir des adhérents de la Réforme sociale consiste-t-il à
défendre le Décalogue, et à promouvoir la réforme des lois et des institutions,
corrompues par les « erreurs modernes »184. Il s'agit donc de « demander le règne
de cette loi morale dans les institutions de notre pays, et le faire entrer dans les habitudes de notre vie privée »185. En France, depuis bientôt dix ans, le gouvernement
des hommes ignore la loi divine, constate Alexis Delaire : convaincues, par les
exemples fournis par l'histoire et le droit comparé, de l'imminence de la catastrophe pour un pays soumis à de telles lois, les Unions de la paix sociale font dès
lors appel à tous les hommes de bien pour conjurer le désordre dans lequel est
plongé le pays186. La restauration de la loi morale échappe certes largement à
l'action des gouvernants ; il s'agit avant tout d'une affaire individuelle, car la
vertu ne se décrète pas. Seulement, il n'est pas contestable que la vie publique
doive donner l'exemple à la vie privée187. Certains membres de l'École leplaysienne vont même jusqu'à autoriser l'intervention de l'État, qu'ils n'admettent en
général que comme un dernier recours188, lorsque le gouvernement d'un pays est
catholique : dans un tel cas, la réglementation de la vie en société par la loi est
admissible dans la mesure où « l'État trouve dans le concept même de la morale, de
la liberté et de l'autorité chrétiennes, la lumière et le guide de son ingérence »189.
Pour certains membres de l'École de Le Play par conséquent, la question du droit
naturel est étroitement liée à la question politique190, et à l'éventuelle restauration
de la monarchie191. Mais la majorité de l'École ne va pas jusque-là : elle se contente
de requérir la mise en conformité du droit et des institutions de la Troisième
181. Manuel d'économie sociale, op. cit., p. 242.
182. Cf. par exemple BRUNETIÈRE (F.), Unions de la paix sociale du Nord. Réunion de
Lille..., op. cit., p. 211-212.
183. CANTU (C.), L'œuvre de F. Le Play exposée par César Cantu, RS, 1885, tome 1, p. 118.
184. CHAMBERT (P.), La dépopulation française. Deuxième rapport sur l'enquête instituée
par le groupe lyonnais des Unions de la paix sociale, RS, 1888, tome 1, p. 245.
185. MICHEL (J.), Unions de Lyonnais, Forez et Bresse. Réunion régionale de Lyon. Les erreurs
sociales, RS, 1888, tome 1, p. 495.
186. Le centenaire de 1789 et les prochaines élections, RS, 1888, tome 2, p. 533.
187. Les élections de 1889 et la réforme sociale, RS, 1889, tome 2, p. 436.
188. Nous y reviendrons infra, n° 490 et s.
189. CAZAJEUX (J.), L'encyclique du pape Léon XIII sur la condition des ouvriers, RS, 1891,
tome 1, p. 886.
190. « Seul un gouvernement catholique pourra rendre à la législation sa nécessaire conformité avec
les principes du droit naturel et les préceptes divins », pense par exemple Félix LACOINTA (Les causes
politiques de la dépopulation, RS, 1908, tome 2, p. 229).
191. C'est notamment l'opinion d'Henri JOLY (La criminalité dans l'état présent des esprits,
op. cit., p. 196).
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