Bibliothèque d'histoire du droit et droit romain - L'École de Le Play et le droit - Tome 34 - 51

LES SOURCES HISTORIQUES DE L'ESPRIT CLASSIQUE

57. L'historien n'entend pas davantage tirer exemple de l'égalité absolue de
tous les citoyens spartiates pour expliciter les origines de la démocratie. On sait
que la noblesse, à la suite de la crise du viie siècle, aurait renoncé, au nom de la
discipline, appelée l'eunomia, aux privilèges de la naissance et de la fortune. La
légendaire Constitution de Lycurgue conduit tout d'abord les anciens nobles à
l'égalité de fortune. Leurs terres sont mises au service de ceux que l'on nomme
désormais les homoioi, les égaux. Chaque cléros, lot de terre appartenant à la Cité,
fait l'objet d'une concession aux citoyens. L'égalité des homoioi est permise par
une éducation uniforme qui efface les spécificités d'une formation aristocratique.
L'enfant appartient à l'État dès sa naissance, et subit dès l'âge de sept ans une
éducation collective en vue de devenir soldat. Les enfants jugés inaptes à cette
fonction sont précipités du haut d'un gouffre. Enfin, l'égalité absolue entre Spartiates s'entend d'une égalité des droits politiques de chacun. Tous les citoyens
participent à l'assemblée et peuvent indifféremment être élus magistrats56. Toutefois, Henri Beaune repousse l'exemple spartiate en arguant que l'égalité formelle
des droits cache mal l'inégalité réelle des fortunes. Qualifiant la Constitution lacédémonienne de « plus cruelle et plus tyrannique des aristocraties », il rappelle l'épisode de l'éradication de milliers d'Hilotes qui s'étaient distingués dans la guerre
du Péloponnèse et à qui la liberté avait été promise. Les cinq éphores, magistrats
annuellement élus, ne redoutaient rien de plus, en effet, qu'un éventuel soulèvement de ces hilotes, sortes de serfs de l'État cultivant les cléros.
58. Henri Beaune conclut en affirmant que ces cités grecques n'étaient rien
d'autre que des oligarchies municipales, dans lesquelles le droit de cité était somme
toute réservé à des castes privilégiées57. Poursuivant son tour d'horizon des États
antiques, l'auteur évacue également rapidement l'exemple romain. « Rome, écritil, ne donna le pouvoir aux plébéiens que pour tomber dans les mains des empereurs ». L'analyse de l'historien met en exergue le fait que c'est l'accès des basses
couches de la population à la vie politique, suite à l'Édit de Caracalla de 212,
accordant la citoyenneté romaine à tous les habitants libres de l'Empire, qui a
mené Rome à la chute de la République et à la dictature impériale : aucune leçon
ne saurait donc être tirée de cet échec romain.
59. Où donc serait née la démocratie ? À la suite de Le Play, son émule en
situe ses origines, de manière sans doute surprenante, à l'époque médiévale. Les
véritables ancêtres des peuples démocratiques modernes seraient donc à rechercher, en premier lieu, dans les communautés rurales du Moyen Âge. Le juriste
dijonnais appuie son argumentation sur l'exemple des communautés taisibles,
sociétés tacites constituées par des communautés de serfs vivant sous le même toit
- « à même pain et à même pot », écrit Guy Coquille au xvie siècle - et destinées
à mettre en échec le droit de mainmorte du seigneur par le maintien en indivision
de tous les biens : « on ne saurait plus le méconnaître, c'est le parsonnier, le communier d'autrefois qui a enseigné au monde européen à faire jaillir le droit de la
décision de la majorité »58.
56. Nous renvoyons sur ces questions à HUMBERT (M.), Institutions politiques et sociales de
l'Antiquité, Paris, Dalloz, 2007, 9e éd., p. 58-63.
57. BEAUNE (H.), La démocratie et le suffrage universel. III., RS, 1887, tome 2, p. 490. L'auteur
aurait d'ailleurs pu ajouter que les démocraties antiques étaient des démocraties directes, alors que la
démocratie du xixe siècle ne peut fonctionner, en raison de la taille du pays, que par le biais du régime
représentatif.
58. Ibid., p. 491.

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