Bibliothèque d'histoire du droit et droit romain - L'École de Le Play et le droit - Tome 34 - 99

LES MANIFESTATIONS CONTEMPORAINES DE L'ESPRIT CLASSIQUE

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toute une doctrine constitutionnelle à tendances catholiques qui se construit
contre la doctrine républicaine parisienne qui, pour sa part, s'efforce de légitimer
le nouveau régime28. L'exemple le plus marquant en est livré par l'œuvre du professeur à la Faculté de droit de Lyon Antoine Saint-Girons (1854-?)29. Son Manuel
de droit constitutionnel (1884) s'oppose en effet « point par point » à celui
d'Esmein30. Pour le professeur lyonnais, l'essentiel ne consiste pas dans la forme
du gouvernement, dans la mesure où celle-ci n'est qu'un moyen et non un
but.  « L'esprit révolutionnaire, analyse-t-il, fait attacher beaucoup trop d'importance à la forme extérieure du gouvernement ». Le culte d'une forme déterminée est
la principale cause de l'animosité des partis qui enlise en France la direction du
pays dans des querelles partisanes. L'essentiel est de s'attacher à une forme politique qui garantisse tous les droits31. Or, les opinions monarchistes du juriste sont
bien connues. Il commence, dans son Manuel, par définir la souveraineté comme
« le droit, pour un peuple, de rester, après Dieu, le seul maître de ses destinées »32.
Aussi la question fondamentale n'est-elle pas réellement celle de la source de la
souveraineté : peu importe qu'il s'agisse du peuple ou du monarque, si ces derniers respectent l'intérêt de la nation, et ne confisquent pas le pouvoir à leur profit. Le professeur lyonnais oppose ainsi la souveraineté nationale, propre à guider
le pays dans de bonnes conditions, à la souveraineté populaire, issue des fausses
républicain de droit constitutionnel » (HALPÉRIN (J.-L.), v° Esmein Jean-Paul-Hippolyte-Emmanuel,
dit Adhémar Esmein, dans ARABEYRE (P.), HALPÉRIN (J.-L.) et KRYNEN (J.) (dir.), Dictionnaire...,
op. cit., p. 312). Sur le rôle d'Adhémar Esmein comme constitutionnaliste, nous renvoyons à SACRISTE (G.),
Le droit de la République..., op. cit., 789 p.
28. SACRISTE (G.), La doctrine constitutionnelle et la loi au tournant du xxe siècle, Parlement(s).
Revue d'histoire politique, n° 11 (Les juristes et la loi), 2009, p. 47 (contra : MELLERAY (F.), Doctrine
parisienne et doctrine de province, dans La doctrine en droit administratif, op. cit., p. 59-67, qui juge cette
tentative de géo-politisation de la doctrine sans intérêt). Pour autant, la différence fondamentale entre les
disciples de Le Play et les professeurs de droit monarchistes réside dans la volonté des leplaysiens de
dépolitiser leur propos, pour se concentrer sur les réformes sociales. Peu de professeurs leplaysiens
placeront ouvertement leurs convictions monarchistes au cœur de leur œuvre scientifique comme peut le
faire à la même époque le « théoricien de la monarchie de droit divin » Tancrède Rothe, professeur à la
Faculté catholique de droit de Lille (MATTHYS  (J.-C.), Un juriste lillois contre-révolutionnaire :
Tancrède Rothe et la politique, Revue d'histoire des facultés de droit et de la science juridique, n° 7 (Les
facultés de droit dans les révolutions françaises), 1988, p. 125).
29. Antoine Saint-Girons obtient son doctorat en droit à Paris (Essai sur les sociétés vectigaliennes
et la ferme des impôts en droit romain ; De la communauté d'acquêts en droit français, 1875). Avocat à
partir de 1876 et chef du contentieux aux usines du Creusot, il est également professeur à la Faculté
catholique de droit de Lyon. Cette sensibilité à la fois sociale et catholique le conduit à adhérer très tôt
aux Unions de la paix sociale (1877), dont il devient correspondant pour Lyon en 1881. Son
engagement leplaysien l'amène en outre à rejoindre la Société d'économie sociale en 1887. Spécialiste
de droit constitutionnel, il se fait surtout connaître par son Droit public français : essai sur la séparation
des pouvoirs dans l'ordre politique, administratif et judiciaire (1881) et son Manuel de droit constitutionnel
(1884), qui connaît une seconde édition l'année suivante (AUDREN (F.) et SAVOYE (A.), Index...,
op. cit., p. 235). Sur la très forte implantation du mouvement leplaysien à Lyon, nous renvoyons à
AUDREN (F.), Comment la science sociale vient aux juristes ? Les professeurs de droit lyonnais et les
Traditions de la science sociale (1875-1935), dans DEROUSSIN (D.) (dir.), Le renouvellement des
sciences sociales et juridiques sous la iiie République : la Faculté de droit de Lyon (actes du colloque des
4 et 5 février 2004 « La Faculté de droit de Lyon et le renouveau de la science juridique sous la Troisième
République »), Paris, La Mémoire du droit, 2007, p. 10-19.
30. BOUDON (J.), La méthode juridique selon Adhémar Esmein, dans HAKIM (N.) et
MELLERAY (F.) (dir.), Le renouveau de la doctrine française..., op. cit., p. 268.
31. SAINT-GIRONS (A.), Les conditions..., op. cit., p. 42-43.
32. Op.  cit.,  p.  9. Sur la parole du souverain comme vecteur du juste, nous renvoyons aux
éclairantes remarques de MAIRET (G.), Le principe de souveraineté. Histoires et fondements du
pouvoir moderne, Paris, Gallimard, 1997, p. 223-228.
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