Droit et Économie - L'ordre public économique - 320

320 L'ORDRE PUBLIC ÉCONOMIQUE

souscriptions publiques aux emprunts d'État, elle n'en demeure pas moins
insistante. À partir du moment où l'intervention de l'État est restreinte,
dans le cadre des politiques de rigueur par le remboursement de la dette,
ce contrat social sur lequel repose implicitement le principe de consentement à l'impôt est ébranlé. On assiste ainsi une délégitimation de l'impôt,
facteur de troubles. Par extension, la vie économique qui s'alimente à la fois
de projections partagées et d'une certaine confiance dans l'avenir se
rétracte et l'ordre public, dans son sens civiliste et administrativiste, est touché.
Par voie de conséquence, la question de la dette, qui désigne la somme
dont l'État est redevable à l'encontre de l'ensemble de ses créanciers et
qu'il doit au final toujours rembourser, n'est pas seulement une question
relevant des finances publiques mais également de l'ordre public économique fiscal. Désireuse de conserver son monopole sur la politique budgétaire, la France a eu recours aux déficits comme instrument principal de
l'action économique et s'est enlisée, depuis les années 1970, dans une situation structurellement déficitaire avec une dette estimée à plus de 90 % du
produit intérieur brut (PIB). Or les sommes que l'État consacre à rembourser les intérêts de la dette, estimés à près d'une cinquantaine de milliards
d'euros chaque année, sont des sommes prélevées sur les contribuables au
bénéfice, non de la collectivité elle-même, mais de prêteurs qui sont majoritairement des non-résidents - fonds de pension étrangers, banques, assureurs privés, fonds souverains également étrangers. Le remboursement de
la dette obère alors le financement des politiques publiques à l'intérieur
même de l'État77. Ainsi les taux de prélèvements obligatoires sont passés
de 42,5 % du PIB en 2010 à 47 % du PIB en 2017. Cette augmentation
correspond aux importants dispositifs fiscaux mis en œuvre pour dominer
la crise économique et financière, la quasi-totalité du système fiscal s'étant
trouvée mise à contribution à travers les trois grandes catégories de prélèvements que constituent les impôts sur le revenu, le capital et la dépense78.
Les conséquences potentiellement dramatiques sur l'ordre public économique d'une telle dépendance financière ont été en Europe parfaitement
perçues lors de la survenance de la crise grecque en 2008.
Les risques sur l'ordre public d'une fiscalité perçue comme insupportable
par les contribuables, tant en raison de son usage que de la manière dont
elle est au final utilisée, constituent pour les États un risque, tel une épée de
Damoclès suspendue au-dessus d'eux79, encore accentué par la complexité
77. F. LEQUILLER et F. ECALLE, Déficit et dette en temps de crise, Economica, 2018.
78. J.-B. GEFFROY, « Que deviennent les politiques fiscales », RFP 2014, no 126, p. 5.
79. M. BOUVIER, « L'avenir peut-il être juste fiscalement ? », Problèmes économiques, avr. 2016.

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