Droit et Économie - L'ordre public économique - 375

L'ORDRE PUBLIC ÉCONOMIQUE : UNE NOTION HÉGÉMONIQUE ? 375

de considérer comme réfractaire aux choses de l'économie37. À dire vrai
ces frontières étaient loin d'avoir l'étanchéité qu'on leur prêtait parfois -
même si la promotion du droit de la concurrence a contribué à leur plus
grande porosité -, comme cela se lit, par exemple, dans les difficultés à faire
le départ entre les notions de police et de service public38, ou à distinguer
entre police et gestion du domaine public39.
On peut certes admettre avec E. Picard que la police et le service ne peuvent
être confondus, parce qu'« ils correspondent bien à deux sortes de modes
d'être de l'État dans ses rapports à la société, le premier se posant comme
le gardien de la société libérale, le second se mettant à reconfigurer cette
dernière, en assurant lui-même des fonctions sociétales, afin de réaliser une
autre forme de socialisation consistant en cette égalisation des conditions »40.
Le même auteur n'est pas moins conduit à reconnaître, avec d'autres41, que
« depuis quelques décennies, les rapports entre les deux fonctions de police
et de service public se sont assez nettement modifiés et leurs différences
essentielles atténuées, du fait qu'elles agissent désormais l'une comme l'autre
sous l'égide de ce principe très spécifiquement néolibéral, le principe de
libre concurrence au sein d'un marché unique à construire, que l'Europe
et dans une certaine mesure la globalisation ont imposé en France »42. C'est
exactement la même démarche qu'adopte O. Renaudie : s'il estime que la
distinction entre police et service public « incarne le droit administratif » et
en « raconte l'histoire »43, c'est pour mieux affirmer l'atténuation des différences entre ces deux notions irrémédiablement enchevêtrées, en raison
notamment des développements d'un marché économique de la sécurité44.
Ainsi que le note E. Picard : « le marché de la sécurité se développant, on
assiste également, comme on l'a dit, à une marchandisation de la police »45.
37. Ce qui ressort avec une grande netteté du commentaire que livre J.-M. AUBY sur CE, 25 juill.
1975, Chaigneau, RDP 1976, p. 342-353. On se souvient qu'ici une réglementation nationale de
vitesse était bel et bien déterminée par des objectifs économiques.
38. V. O. RENAUDIE, « Police et service public », dans C. VAUTROT-SCHWARZ (dir.), La police administrative, op. cit., p. 39-53.
39. V. N. FOULQUIER, Police et gestion du domaine, dans C. VAUTROT-SCHWARZ, op. cit., p. 85-96. V. aussi,
C. LAVIALLE, « L'acte de gestion domaniale », in Mélanges en l'honneur de F. Moderne, Paris, Dalloz, 2004, p. 265-285.
40. V. E. PICARD, Rapport de synthèse préc., p. 280. L'affirmation de la police comme activité spécifique n'en reste pas moins une thèse fortement défendue en doctrine, v. par exemple,
J. PETIT, La police administrative, in P. GONOD, F. MELLERAY et P. YOLKA (dir.), Traité de droit administratif, Paris, Dalloz, 2011, tome 2, p. 6-44.
41. V. en ce sens le rapport préc. d'O. RENAUDIE.
42. V. E. PICARD, op. cit., p. 260.
43. Rapport préc., p. 53.
44. V. sur cette question, C. VIGOUROUX, Du juste exercice de la force, Paris, O. Jacob, 2017.
45. Rapport préc., p. 296.
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