Contextes - Penser l'ancien droit privé - 101

AVEC QUELS MOTS PEUT-ON PENSER LE DROIT BABYLONIEN ? 93

tuerait même une incongruité. C'est en ce sens qu'il faut comprendre une
lettre du xviiie siècle avant notre ère, dans laquelle l'expéditrice reproche
à sa sœur, une princesse mariée à un personnage de haut rang dans le nord
de l'Irak, de se montrer égoïste en refusant de lui envoyer des subsides :
« Comme s'il n'y avait que toi ! Y a-t-il jamais eu une épouse qui lavait les
pieds de son seigneur ? Et qui n'approvisionnait pas sa sœur ? »18. Le ton
ironique souligne qu'il est tout aussi choquant de ne pas se montrer solidaire de sa propre sœur que de se livrer à une tâche purement domestique
quand on est une épouse.
Bien sûr, É. Cuq ne pouvait pas faire tous ces recoupements puisqu'aucun
de ces textes ne lui était connu, et il n'est pas question de regarder avec
condescendance le travail de ce grand savant, mais on peut juste remarquer
combien l'ombre romaine était présente et brouillait parfois l'interprétation
des textes cunéiformes.
L'œuvre de Paulo Koschaker est encore plus éloquente à cet égard, en
particulier ses Études de droit comparé sur la législation de Hammurabi19.
Dans l'introduction20, Koschaker soutient que, de même qu'il y a dans
le Corpus juris civilis de Justinien des indices de style et de langue qui
trahissent l'altération des sources compilées par Tribonien, il y a dans le
Code de Hammurabi des interpolations et des adaptations similaires du
droit babylonien. Hammurabi aurait recueilli dans leur formulation d'origine des lois antérieures qu'il aurait complétées et partiellement modifiées
par des dispositions nouvelles. La stèle babylonienne serait au fond une
compilation comparable à celle du Code de Justinien, une collection de lois
anciennes parfois mises à jour ou modifiées, côtoyant des normes récentes
voire contemporaines de Hammurabi.
Koschaker a donc appliqué au droit législatif babylonien une technique empruntée à la romanistique de son époque. Il était cependant bien
conscient de ce que le procédé avait d'artificiel et de théorique, puisqu'il
qualifiait lui-même de Professorenrecht le droit romain des Pandectistes.
Mais il reste que la volonté de retrouver le texte d'origine sous les remaniements successifs l'a conduit à une manipulation des sources destinée à faire
apparaître un prétendu « droit d'origine ». Son analyse du § 7 du Code de
Hammurabi en fournit une bonne illustration. Aux termes de ce texte, est
déclaré voleur et puni de mort celui qui achète ou reçoit en dépôt un bien
18. OBTR 134 ll. 24-26 ; pour une traduction un peu différente, cf. A.-I. Langlois, Les
archives de la princesse Iltani découvertes à Tell al-Rimah (xviiie siècle avant J.-C.) et l'histoire du royaume de Karana/Qaṭṭara, Paris, 2017 (Archibab 2, Mémoires de NABU, 18),
vol. 2, p. 133-135.
19. P. Koschaker, Rechtsvergleichende Studien zur Gesetzgebung Hammurapis, Leipzig,
1917.
20. Ibid., p. 3.

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