Contextes - Penser l'ancien droit privé - 106

DROITS PRIVÉS NON OCCIDENTAUX

« lien » (riksu, pl. riksātu), rien ne permet d'affirmer que ce lien soit revêtu
d'une force obligatoire. Les savants du début du xxe siècle préféraient parler
de « document » ou d'« accord », l'emploi occasionnel de « contrat » étant
considéré comme une facilité de langage32.
La discussion s'est concentrée principalement sur la vente, fondamentalement pensée comme une opération au comptant, sans échange de
prestations ni création d'obligation : le paiement du prix réalise de plein
droit le transfert de propriété, à charge ensuite pour l'acheteur de se mettre
en possession lui-même33. Les implications de ce schéma, notamment pour
la question de la vente à crédit, ont été revues et nuancées grâce à l'apport
de nouveaux textes34, mais l'analyse de base demeure et avec elle la question
plus générale de savoir ce qui fait naître une obligation en Mésopotamie.
Une des théories fréquemment avancées à cet égard met en avant le rôle
du serment, très abondamment attesté dans les actes de la pratique, par
lequel les parties jurent de ne pas contester leurs engagements en invoquant
le nom d'un ou plusieurs dieux, et souvent aussi celui du roi. Dès lors, ce
serait la puissance sacrée et non l'autorité du droit qui créerait l'obligation
et en garantirait l'exécution35. Le jureur appellerait ainsi la malédiction
divine tantôt sur lui-même, tantôt sur le souverain dont il a prononcé le
nom36. La force de ces rites résiderait dans leur valeur magique, contraignant les parties à respecter leurs engagements, l'ensemble du processus
baignant dans une religiosité présumée occuper tout le champ de la vie
sociale et donc aussi juridique.
Mais que faire alors des contrats qui ne contiennent pas de serment ?
La réponse diffère selon que l'omission est occasionnelle ou systématique. Dans le premier cas, on aurait une forme raccourcie du document,
32. Voir par exemple É. Cuq, Études sur le droit babylonien..., op. cit., p. 162 : « Le mot
contrat est pris ici dans un sens large ; il n'implique pas nécessairement, comme en droit
moderne, l'idée d'une convention créatrice d'obligation ».
33. Pour une analyse critique des débats sur la vente babylonienne, cf. G. Boyer, « Nature
et formation de la vente dans l'ancien droit babylonien », Revue internationale des droits
de l'Antiquité, 2, 1953, p. 45-85.
34. La vente à livrer et la vente à crédit sont désormais attestées (cf. C. Wilcke, « Zu den
spät-altbabylonischen Kaufverträgen aus Nord Babylonien », Die Welt des Orient, 8, 1976,
p. 254-285, spécial. p. 277 ; A. Skaist, The Old Babylonian Loan Contract. Its History and
Geography, Bar-Ilan, 1994, p. 67-72), sans qu'il soit toujours nécessaire de passer par un
contrat accessoire de prêt, comme le soutenait M. San Nicolò, Die Schlußklauseln der
altbabylonischen Kauf- und Tauschverträge. Ein Beitrag zur Geschichte des Barkaufes,
2e éd. (H. Petschow), München, 1974, p. 45-70.
35. Cf. J. Kohler et A. Ungnad, Hammurabi's Gesetz, t. III, Leipzig, 1909, p. 223 ;
M. Schorr, Urkunden des altbabylonischen Zivil- und Prozessrecht, Leipzig, 1913
(Vorderasiatische Bibliothek, 5), p. xxxii.
36. G. Boyer, « Le serment promissoire en droit babylonien », Mélanges d'histoire du droit
oriental, 1965, p. 169-180, spécial. p. 173.

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