Contextes - Penser l'ancien droit privé - 107

AVEC QUELS MOTS PEUT-ON PENSER LE DROIT BABYLONIEN ? 99

n'affectant pas sa substance ; dans le second cas, la clause serait passée
sous silence parce qu'elle est trop évidente. Mais il se pourrait aussi que la
source de l'obligation ne réside plus dans le serment, lequel aurait désormais une fonction plus technique. On observe en effet que, au moins dans
la Babylonie de la première moitié du iie millénaire avant notre ère, les
serments sont généralement construits autour de trois noms, cités dans
un ordre toujours semblable : celui du dieu local, celui du dieu « national »
et enfin celui du roi37. Cette hiérarchie pourrait renvoyer aux trois juridictions que les parties déclarent compétentes en cas de litige : le tribunal
du lieu du contrat, la ville étant représentée par son dieu ; le tribunal de la
capitale, symbolisée par le dieu de Babylone ; et enfin la juridiction du roi,
accessible à tous les sujets lorsqu'ils le demandent, conformément à l'image
bien connue du roi de justice. Cette approche met l'accent sur le pluralisme
juridique, typique du monde mésopotamien, et ramène le champ religieux
à des proportions plus modestes sans pour autant en nier l'importance.
Alors finalement, avec quels concepts faut-il penser le droit babylonien ?
La découverte du Code de Hammurabi a nourri les arguments des partisans
d'un juridisme étatique performant au Proche-Orient ancien. L'essor de
l'assyriologie hors de la romanistique a conduit à un revirement radical,
l'existence même de lois étant contestée quasi-unanimement depuis les
années 1960. Il y aurait ainsi bien peu de droit en Mésopotamie, du moins
au regard des catégories développées dans les cultures indo-européennes.
Passer par des langues sémitiques comme l'arabe, plus proche de l'akkadien que le français ou l'anglais, n'est pas forcément d'un grand secours
car le sémantisme des mots évolue et obscurcit parfois leur sens d'origine.
L'un des rares termes akkadiens passé dans le vocabulaire français à travers
l'arabe est le mot « mesquin », dérivé du babylonien muškēnum. En raison
de sa connotation négative actuelle, et parce que les muškēnū semblaient
occuper à Babylone une position inférieure, on les a d'abord assimilés à des
semi-libres38 avant de les considérer comme des hommes du commun,
des rustiques par opposition aux élites urbaines 39. Plus récemment, on
37. Cf. D. Charpin, « Un serment par Aššur et Adad », Nouvelles Assyriologiques Brèves
et Utilitaires, 1987/1.
38. Cf. par exemple É. Cuq, Études sur le droit babylonien..., op. cit., p. 22 ; M. Schorr,
Urkunden des altbabylonischen Zivil- und Prozessrecht, op. cit., p. 539 ; I. M. Diakonoff,
« The Structure of Near Eastern Society before the Middle of the Second Millennium B.C. »,
Oikumene, 3, 1982, p. 7-100, spécial. p. 28.
39. L'étude de référence, qui rallie la plupart des suffrages, est celle de F. R. Kraus, Vom
mesopotamischen Menschen der altbabylonischen Zeit und seiner Welt, Amsterdam, 1973,
p. 92-125. Voir aussi J.-M. Durand, « Précurseurs syriens aux protocoles néo-assyriens »,
in D. Charpin et F. Joannès (éd.), Marchands, diplomates et empereurs. Études sur la civilisation mésopotamienne offertes à Paul Garelli, Paris, 1991, p. 13-71, spécial. p. 21 et n. 18

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