Contextes - Penser l'ancien droit privé - 112

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DROITS PRIVÉS NON OCCIDENTAUX

à désarrimer l'ethnologie juridique de ses compromissions coloniales. Pour
survivre, ce champ du savoir, non encore institutionnalisé avant-guerre,
devait, en somme, faire peau neuve et amende honorable. Pour cautériser
ses plaies douloureuses, quelques acteurs, après-guerre, décident d'institutionnaliser le savoir ethnologique sur le droit, en le hissant au statut de
discipline universitaire, parée pour les besoins de la cause de la virginité
d'une nouvelle dénomination : l'anthropologie juridique fait place à l'ancienne et douteuse ethnologie juridique. C'est dans le cadre de cette délicate
refondation que l'anthropologie juridique, afin d'asseoir sa nouvelle légitimité autoproclamée, assène un argument méthodologique érigé en vérité
disciplinaire irréfragable : le refus absolu de l'ethnocentrisme juridique.
Avancer une telle proposition intellectuelle, en forme de rupture épistémologique, s'apparente manifestement à une réécriture mémorielle de
l'histoire de l'ethnologie juridique. Dans les conditions troubles de sa (re)
naissance, il n'est nullement surprenant que, plus que toute autre, l'anthropologie du droit n'ait pas échappé à la tendance des disciplines à la
« construction mythique de leur propre histoire disciplinaire »11. Nous
nous proposons par conséquent, dans ces quelques pages, d'analyser
comment les anthropologues du droit français se sont livrés à un exercice
de « fabrication collective des récits historiographiques »12, au sein duquel
le questionnement épistémologique autour de la relativité des concepts
juridiques a joué le rôle de ciment symbolique13. Loin de se cantonner
11. L. Mucchielli, Mythes et histoire des sciences humaines, Paris, La Découverte, 2004,
p. 5 et, de manière plus générale, les stimulants propos introductifs.
12. S. Van Damme, « Un ancien régime des sciences et des savoirs », Histoire des sciences
et des savoirs, dir. D. Pestre, tome 1, De la Renaissance aux Lumières, dir. S. Van Damme,
Paris, Seuil, 2015, p. 21.
13. Pour quelques exemples de travaux ayant interrogé dans une perspective réflexive
la manière dont les disciplines se donnent des pères fondateurs ou reconstruisent stratégiquement leur passé, cf. M.-G. Ash, « The Self-Presentation of a Discipline : History
of Psychology in the United-States between Pedagogy and Scholarship », Functions and
Uses of Disciplinary Histories, dir. L.-R. Graham, W. Lepenies et P. Weingart, Dordrecht,
D. Reidel Publishing Company, 1983, p. 143-149 ; C. Blanckaert, « Buffon and the natural
history of man : writing history and the "foundational myth" of anthropology », History
of the Human Science, 6 (1), 1993, p. 13-50 ; J.-L. Chiss et Ch. Puech, « La linguistique
structurale, du discours de fondation à l'émergence disciplinaire », Langages, t. 120, 1995,
p. 106-126 ; R. Collins, « Les traditions sociologiques », Enquête, t. 2, 1995, p. 11-38 ;
I. Lubeck, « Some reflections on various social psychologies, their histories and their
historiographies », Sociétés contemporaines, t. 13, 1993, p. 33-70 ; L. Mucchielli, Mythe et
histoire..., op. cit. ; N. Richard, « Des dîners Lamarck au monument, la construction d'une
mémoire », Jean-Baptiste Lamarck 1744-1829, dir. L. Goulven, Paris, Ed. du CTHS, 1997,
p. 631-647 ; F. Audren, « Le moment 1900 dans l'histoire de la science juridique française.
Essai d'interprétation », Le « moment » 1900. Critique sociale et critique sociologique du
droit en Europe et aux États-Unis, dir. O. Jouanjan et E. Zoller, Paris, Éditions PanthéonAssas, 2015, p. 55-74.
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