Contextes - Penser l'ancien droit privé - 116

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DROITS PRIVÉS NON OCCIDENTAUX

avant-guerre, dans la défense de l'Empire colonial. René Maunier (18871951), professeur à la faculté de droit de Paris, constitue l'archétype de ces
juristes coloniaux26. Il apparaissait donc indispensable de rompre avec les
présupposés, désormais jugés nauséabonds, d'avant-guerre. Un tel choix
méthodologique, de la part du Laboratoire, n'allait d'ailleurs pas de soi, et
il faut prendre garde de ne pas naturaliser cette évolution épistémologique.
Rappelons que, dans les années 1950, les institutions coloniales promeuvent
encore parfois une forme d'anthropologie juridique d'esprit très différent.
Ainsi, par exemple, sœur Marie-André du Sacré-Cœur, missionnaire
docteur en droit financée pendant quinze mois par l'Office de la recherche
scientifique d'Outre-Mer, rédige en 1953 un ouvrage intitulé La condition
humaine en Afrique noire, ouvertement évolutionniste et tendant à comparer
le « droit » de l'AOF et du Cameroun avec, notamment, le droit romain27. En
outre, certaines sociétés savantes du xixe siècle, encore actives, envoient des
juristes en mission, à l'image de la Société d'ethnographie dirigée par Louis
Marin28, réputée pour son conservatisme aux relents racialistes29.
Dans ce contexte pour le moins trouble, il n'est nullement surprenant
que les acteurs de l'anthropologie juridique des années 1960 aient souhaité
opérer une refondation symbolique de leur discipline, en mettant en scène
une rupture épistémologique nette. C'est, ici, la survie même de la perspective anthropologique sur le droit qui apparaissait en jeu. Créé une ou
deux années après les accords d'Évian (1962), le Laboratoire d'anthropologie juridique de Paris emploie toute son énergie à disjoindre l'ethnologie
26. Cf. infra.
27. Marie-André du Sacré-Cœur, La condition humaine en Afrique noire, Paris, Grasset,
1953. Sœur Marie-André intervient régulièrement, dans les années 1930, à la Société d'ethnographie dirigée à l'époque par Louis Marin (Arch. nat. de France, Archives privées Louis
Marin, 317 AP 135 - activités de la Société d'ethnographie, 7 lettres de Sœur Marie-André
s'étalant de 1936 à 1939).
28. En 1949, par exemple, la Société d'ethnographie envoie Marthe Carciu, accompagnée de son mari, en mission d'ethnologie juridique au Cameroun. Ce voyage se déroule
en 1950-1951 (Arch. nat. de France, Archives privées Louis Marin, 317 AP 136 - activités
de la Société d'ethnographie, lettres datées de 1949-1951). On ne sait rien de cette femme
ethnologue, que l'on retrouve parfois sous la dénomination de Marthe Lauverjon-Carciu, si
ce n'est qu'elle est l'auteur, en 1948, de trois recensions d'ouvrages traitant de linguistique,
publiées dans le Journal de la Société des Océanistes. Elle semble avoir adhéré à l'Association
française des anthropologues en 1981-1982.
29. R. Lacombe, « Essai sur les origines et les premiers développements de la Société d'ethnographie », L'Ethnographie, vol. 76, t. 3, 1980, p. 329-341 ; G.-W. Stocking, « Qu'est-ce qui
est en jeu dans un nom ? ("What's in a name ?" II). La "Société d'ethnographie" et l'historiographie de l'"anthropologie" en France », Histoires de l'anthropologie : xvie-xixe siècles, dir.
B. Rupp-Eisenreich, Paris, Kliensieck, 1984, p. 423-431 ; H. Lebovics, « Le conservatisme
en anthropologie et la fin de la Troisième République », Gradhiva, t. 4, 1988, p. 3-17 ; du
même, La « Vraie France ». Les enjeux de l'identité culturelle, 1900-1945, Paris, Belin, 1995 ;
R. Meyran, Le mythe de l'identité nationale, Paris, Berg International, 2009.
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