Contextes - Penser l'ancien droit privé - 118

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DROITS PRIVÉS NON OCCIDENTAUX

droit36. Tout l'enjeu des années 1970 consiste alors, à lire Étienne Le Roy,
à « réfléchir aux contraintes du transfert des modèles, institutions et connaissances juridiques » et à conduire de « nouveaux travaux pour en corriger
l'ethnocentrisme », avec pour impératif de « transcrire dans le langage juridique du droit français des logiques qui lui sont étrangères »37.
Les acteurs de l'époque s'avisant que les choix linguistiques sont toujours
porteurs de choix conceptuels 38, la question du transfert de concepts
emprunte, au tournant des années soixante et soixante-dix, la forme d'une
réflexion sur la langue et le langage. Quelques années à peine après la fondation du Laboratoire, en 1967, une équipe animée par Raymond Verdier
met au point un outil méthodologique permettant d'analyser l'altérité juridique africaine en recourant le moins possible aux concepts occidentaux :
un « dictionnaire » d'anthropologie juridique, destiné à permettre « l'inventaire, par populations, des termes africains utilisés dans tous les domaines
où le Droit est concerné : il s'agit essentiellement d'analyser les termes et
leurs diverses significations, en s'efforçant d'éviter toute référence explicite ou implicite aux catégories occidentales, et de décrire, avec précision
et concision, les réalités qu'ils recouvrent ». Il s'agissait moins, en réalité,
d'un dictionnaire que d'un projet encyclopédique, devant prendre la forme
d'un vaste fichier destiné à servir de base de données ethnographique pour
permettre « l'étude scientifique des systèmes de droit africain traditionnels
et actuels »39. Le décentrement de regard du juriste occidental, autrement dit,
est conditionné, du moins dans un premier temps, par un retour à la minutieuse approche ethnographique. À la relativité et l'abstraction des concepts,
les concepteurs du dictionnaire opposent une « lecture ethnographique de
la vie juridique », qui se propose de saisir « le droit vivant », c'est-à-dire « le
droit tel qu'il est vécu au quotidien par les Africains et justifié par eux »40.
36. Ch. Eberhard, « Science de l'Autre, sens du Droit. À  la découverte du vivreensemble », La quête anthropologique du droit. Autour de la démarche d'Étienne Le Roy,
dir. Ch. Eberhard et G. Vernicos, Paris, Khartala, 2006, p. 18.
37. « La généralisation de la propriété privée de la terre, une fausse bonne solution pour
l'Afrique noire », Juridicités. Approches du droit au Laboratoire d'Anthropologie juridique
de Paris..., op. cit., p. 100.
38. A. Negri, Il giurista dell'area romanista di fronte all'etnologia giuridica, Milano,
Giuffrè, 1983, p. 16.
39. R. Verdier, « Mélanges et nouvelles. Faculté de droit et des sciences économiques
de Paris. Laboratoire d'anthropologie juridique : dictionnaire d'anthropologie juridique
(Afrique noire) », Journal de la Société des Africanistes, t. 37, fasc. 2, 1967, p. 245. L'appel aux
bonnes volontés des chercheurs est simultanément publié dans une revue anglo-saxonne :
« Notes and news. Faculté de Droit et des Sciences Économiques de Paris : Laboratoire
d'Anthropologie Juridique », Africa, vol. 37, issue 02, april 1967, p. 224.
40. E. Le Roy, « Au carrefour de l'anthropologie, du droit et de l'histoire africaine, le
dictionnaire d'anthropologie juridique », Les univers du droit. Mélanges en hommage
à Claude Bontemps, dir. B. Basdevant et N. Goedert, Paris, L'Harmattan, 2013, p. 333-334.
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