Contextes - Penser l'ancien droit privé - 120

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DROITS PRIVÉS NON OCCIDENTAUX

catégories usuelles de la recherche coloniale » et d'« entrer par le vocabulaire dans les logiques des phénomènes étudiés »45 ; bref, d'« entrer dans la
compréhension de ce qui fait « le droit » dans certains situations »46. Loin
d'être universelles, les catégories occidentales du droit sont toujours le fruit
d'un univers mental et d'une culture spécifique47. Pour le Laboratoire, « une
démarche qui se veut exclusive de toute référence à un système étranger,
doit partir des seules manifestations de la vie juridique »48. Les concepteurs
du dictionnaire insistent longuement sur le défi consistant à rendre compte
de la structure juridique des peuples, sans y projeter un ordre juridique
étranger49. Nulle surprise, dès lors, que la solution de l'équation réside
partiellement dans une réflexion sur le langage, sur lequel Claude LéviStrauss avait attiré l'attention, en transposant en anthropologie les thèses
structuralistes du linguiste Roman Jakobson, rencontré lors de l'exil newyorkais des années 1940.
La conclusion à laquelle aboutissent les concepteurs du dictionnaire est
d'une radicalité inédite : l'analyse de la vie juridique africaine doit se passer
de l'utilisation des termes français du droit, sous peine d'aboutir à une reproduction, plus ou moins consciente, des catégories logiques du locuteur50.
Partant de ce postulat, chaque « entrée » du dictionnaire51 est présentée sous
sa dénomination africaine, exigence conduisant le Laboratoire à s'adjoindre
le concours d'un linguiste capable de transcrire les idiomes africains. C'est,
en somme, « l'analyse sémiologique » qui est mobilisée pour décrire les
phénomènes normatifs africains. Étienne Le Roy, présentant en 1971 le
dictionnaire, le qualifie de « dictionnaire phénoménologique », préférant
à l'ordre alphabétique un système de fiches notionnelles, constituant autant
45. E. Le Roy, « Au carrefour de l'anthropologie, du droit et de l'histoire africaine, le
dictionnaire d'anthropologie juridique », loc. cit., p. 341.
46. Ibid., p. 334-336 et p. 341.
47. J. Vanderlinden, « Aux côtés de Michel Alliot sur la pente savonneuse de la définition
des droits », Un passeur entre les mondes..., op. cit., p. 88.
48. E. Le Roy, « Réflexions sur une interprétation anthropologique du droit africain... »,
loc. cit., p. 434.
49. Précisons que cette référence à la structure juridique des sociétés ne signifie pas qu'elle
soit appréhendée comme étant statique. Le dictionnaire était au contraire très attentif aux
évolutions des mots comme des institutions. Chaque entrée devait obligatoirement être
soigneusement historicisée, et contenir les variations de tel ou tel aspect de la vie juridique
africaine.
50. En 1981 toutefois, Étienne Le Roy semble reconnaître l'impossibilité même d'un tel
projet : « in the absence of pertinent concepts, we are obliged to translate specific African
realities into the language of Western law, and thus to betray the logic of legal thought both
of the West and of the societies of Black Africa » (« The indigenous legal experience of contemporary Black Africa and the transfer of Western legal knowledge », Domination or sharing ?
Endogenous development and the transfer of knowledge, UNESCO, PUF, 1981, p. 93).
51. Pour une description précise de la physionomie de ce dictionnaire, cf. E. Le Roy, « Au
carrefour de l'anthropologie, du droit et de l'histoire africaine, le dictionnaire d'anthropologie juridique », op. cit., p. 337 et s.

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