Contextes - Penser l'ancien droit privé - 121

LES HABITS NEUFS DE L'ANTHROPOLOGIE JURIDIQUE

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d'unités autonomes composées de rubriques obligatoires (terme, localisation, linguistique, évolution, variantes, renvois, etc.). Si l'on a souvent écrit
que l'une des propriétés du droit est sa capacité à inventer un autre monde,
au besoin contre une réalité appropriée et transformée par l'opération de
qualification, il semble qu'ici, ce travail sur le langage entende à l'inverse
épouser le réel au plus près. Le projet du dictionnaire est presque, à lui
seul, une négation de ce qu'est la science juridique. Les objets donnés par
le monde africain n'ont pas vocation à être transmués par la traditionnelle opération de qualification des juristes occidentaux. L'ethnographie
juridique promue par le Laboratoire entend, à l'inverse, abolir la distance
analytique entre l'objet originaire et son double juridique52.
Sous-tendu par un encyclopédisme qui n'est pas sans rappeler l'entreprise lévi-straussienne contemporaine du fichier des Human Relations Area
Files53, le Laboratoire entend ficher « la totalité des sociétés humaines dans
la globalité de leurs manifestations juridiques », avant de passer à la phase de
comparaison permise par l'accumulation des matériaux ethnographiques54.
La démarche ethnographique apparaît nettement comme la pierre angulaire
de la « révolution psychologique » nécessaire des chercheurs du laboratoire, consistant à épouser une « approche interne de la pensée juridique
des sociétés étudiées »55, initialement centrée, en 1968, sur la thématique
« terre et parenté ». À lire Étienne Le Roy, le dictionnaire, qui n'est d'ailleurs jamais paru, si ce n'est sous la forme de quelques corpus thématiques
dactylographiés56, aurait permis des avancées significatives pour penser
le droit africain sans transfert de concepts occidentaux57, prolégomènes
indispensables à la formulation d'une « théorie générale du droit africain »58.

52. Nous nous appuyons ici sur l'article particulièrement éclairant de M.-A. Hermitte,
« Le droit est un autre monde », Enquête, t. 7 [Les objets du droit], 1999, p. 17-37.
53. M. Abélès, « Le fichier des Human Relations Area Files », La lettre du Collège de
France, hors-série 2 (Claude Lévi-Strauss, centième anniversaire), 2008, p. 66-67.
54. E. Le Roy, « Réflexions sur une interprétation anthropologique du droit africain... »,
loc. cit., p. 435.
55. Ibid., p. 441.
56. Seize corpus ont été rédigés entre 1966 et 1970, sous forme dactylographiée. Geneviève
Chrétien-Vernicos livre une bibliographie précieuse de cette littérature grise, aujourd'hui
difficilement accessible (« Le LAJP et la parenté », Bulletin de liaison du Laboratoire
d'anthropologie juridique de Paris, t. 23 [Quelques jalons d'une anthropologie du droit],
juillet 1998, p. 6-9).
57. Ainsi par exemple, la récolte de données ethnographiques a permis aux chercheurs
du Laboratoire repenser la question de la filiation à nouveaux frais. Celle-ci, en plus de
rattacher un individu à ses ascendants, l'arrime également à une lignée, avec parfois des
« dimensions résidentielles ou magico-religieuses qui nous éloignent fort des catégories
civilistes » (E. Le Roy, « Réflexions sur une interprétation anthropologique du droit africain... », loc. cit., p. 442).
58. Ibid., p. 447.

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