Contextes - Penser l'ancien droit privé - 123

LES HABITS NEUFS DE L'ANTHROPOLOGIE JURIDIQUE

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A. L'éclipse de l'œuvre de Jean Poirier
L'ethnologue Jean Poirier (1921-2009)62 traverse l'histoire de l'ethnologie juridique d'après-guerre comme une comète, sans que l'on ne
62. Né le 4 juin 1921 à Haines (Vienne), Jean Poirier effectue ses études au milieu de
la tourmente de la Seconde Guerre mondiale. Adjoint au commandant de la 50e compagnie indochinoise, il entre dans la Résistance dès le 1er mars 1942, à Poitiers puis à Paris.
Reçu à l'École coloniale le 1er août 1942, il obtient sa licence en droit en novembre de la
même année, tout en s'inscrivant parallèlement à l'Institut d'ethnologie et en décrochant
sa licence en lettres. Il obtient également un D.E.S. de droit en 1943, suivi, en février 1945,
d'un Certificat d'études supérieures en histoire des religions (religions des Primitifs), avant
d'être titularisé élève de la Ve section de l'École des Hautes Études (histoire des religions) par
arrêté du 10 septembre 1945. Engagé au sein du corps expéditionnaire d'Extrême-Orient le
11 avril 1945, il est démobilisé le 21 novembre pour cause de troubles visuels. Son attitude
pendant la guerre lui vaut d'être décoré de la croix de guerre 39-45, d'être chevalier de la
Légion d'honneur et de l'Ordre National du Mérite. Également élève de l'École nationale de
la France d'Outre-Mer et de l'École nationale d'administration, il choisit, par goût personnel,
de faire de l'ethnologie sa carrière et devient assistant de Maurice Leenhardt, dont il avait
suivi l'enseignement à l'École des Hautes Études. C'est alors que, grâce à André LeroiGourhan, il entre au CNRS comme attaché de recherches. Devenu son directeur de thèse,
ce dernier lui confie le secrétariat du Centre de formation aux recherches ethnologiques.
C'est à cette époque qu'il collabore avec Michel Alliot et Henri Lévy-Bruhl, avec lesquels
il fonde, en 1955, le premier enseignement de « droits coutumiers africains » à la faculté de
droit de Paris. En 1953, attiré par la Nouvelle-Calédonie, il est chargé par le gouvernement
français d'étudier les conditions de création d'une Université française du Pacifique, tâche
dont il s'acquitte. En 1957, Leroi-Gourhan quitte la chaire d'ethnologie de la faculté des
lettres et sciences humaines de Lyon : Poirier le remplace, débutant ainsi sa carrière universitaire. Devenu directeur général de l'Enseignement supérieur à Madagascar, Michel Alliot
propose à Poirier, en 1959, de le rejoindre à Tannarive, dans le but d'organiser l'enseignement
de la sociologie et de l'ethnologie. C'est chose faite deux ans plus tard. Poirier créé alors le
Département des sciences humaines de la faculté des lettres. L'aventure, cependant, sera de
courte durée : en 1969, les évènements de mai 68 obligent le gouvernement à suspendre les
enseignements de sociologie et d'ethnologie des universités francophones d'Afrique. Jean
Poirier, qui vient d'achever une thèse consacrée à la peuplade malgache des Bezanozano,
rejoint alors la faculté des lettres de Nice et oriente sa carrière, par inclinaison personnelle,
vers l'Afrique Noire et Madagascar. Il est, pendant une dizaine d'années, impliqué dans
l'entreprise de décolonisation et travaille à la codification, inaboutie, des coutumes de la
Mauritanie et du Dahomey (actuel Bénin). Le tournant des années 1960-1970 le voit publier
de nombreux textes programmatiques en ethnologie juridique, avant qu'il ne se détourne
de cet objet d'études pour s'investir dans d'autres domaines. Il se signale par des publications aussi nombreuses que variées, mais surtout par un investissement important dans
des publications collectives. Il dirige notamment, dans le cadre de l'Institut des sciences
économiques appliquées dirigé par François Perroux, la collection « Humanités. Économie,
ethnologie, sociologie », dont l'objet est de lier science économique et sciences sociales. Il
publie en outre six ouvrages collectifs dans l'Encyclopédie de la Pléiade (Gallimard), dont
un traité d'Ethnologie générale en 1968 (qui comprend trois chapitres traitant de l'ethnologie juridique, rédigés par Michel Alliot, Henri Lévy-Bruhl et lui-même), suivi par deux
volumes d'Ethnologie régionale (1972 ; 1978) et trois volumes d'une Histoire des mœurs
(1990-1991). Il a également contribué aux deux volumes de l'Ethnologie de l'Union française
avec André Leroi-Gourhan et Georges Condominas (1953) et a été responsable de la partie
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