Contextes - Penser l'ancien droit privé - 128

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DROITS PRIVÉS NON OCCIDENTAUX

dans l'introduction de son questionnaire, s'explique longuement sur le
choix de ce procédé, destiné, dans une perspective ethnographique, à opérer
un récolement et, à terme, une cartographie des coutumes, préalable
indispensable aux futures codifications souhaitées par les nouveaux États
africains. Ce guide de l'enquête juridique qu'est le questionnaire est conçu
comme un aide-mémoire pour l'enquêteur, utile, mais invisible82 ; bref,
un document de travail servant à la mise en ordre des idées, mais n'ayant
pas vocation à apparaître en tant que tel dans les rapports finaux. Or, ce
document, du point de vue de l'histoire des concepts, est extrêmement
instructif, de par la structure des questions et le vocabulaire utilisé. Jean
Poirier prend grand soin, en effet, de ne pas négliger l'écueil consistant
à projeter des catégories occidentales du droit sur les réalités coutumières
africaines formant l'objet de ses instructions. Cette réflexion, chez Poirier,
n'est pas neuve : amorcée dès la fin des années 195083, elle s'accompagne
d'une mise en garde adressée non seulement aux ethnologues européens
qui auraient à se charger d'une telle tâche, mais également aux sous-préfets
africains présidant les commissions de récolement des coutumes, souvent
eux-mêmes formés aux « catégories juridiques européennes »84. Malgré cette
prise de conscience, Poirier, dans les années 1960, ne tient pas un discours
aussi radical que celui du Laboratoire dix ans plus tard. « L'extrapolation
des catégories juridiques romaines ou napoléoniennes, qui sont à la base
des législations européennes, indique-t-il, ne peut jamais être faite sans
un examen préalable de validité ». Aussi plaide-t-il, non pas pour un rejet
absolu des concepts occidentaux, mais pour une transposition sous bénéfice
d'inventaire. La difficulté, poursuit-il, consiste à opérer un compromis
trouve dans D. Fowler, « Notes on inquieries in Anthropology : a bibliographical essay »,
Toward a science of man. Essays in the history of anthropology, dir. T.-H. Thoresen, The
Hague-Paris, Mouton Publishers, 1975, p. 15-32 et dans C. Blanckaert, « Questionnaires et
guides d'enquête dans les sciences de l'homme. Bibliographie des études », Bulletin d'information de la Société française pour l'histoire des sciences de l'homme, n° spécial, 1992, p. 4-8.
82. Poirier rappelle que l'intérêt d'un questionnaire, qui doit obéir aux règles générales
des enquêtes ethnographiques, consiste à « éviter à l'enquêteur de rien oublier d'important,
et, aussi, ce qui est essentiel, lui permettre, à tout moment, de faire immédiatement le point
et de situer le problème étudié dans un contexte socio-juridique global » (Questionnaire
d'ethnologie juridique appliqué..., op. cit., p. 14).
83. En 1959, à l'occasion des Mélanges Lévy-Bruhl, il avait tenté d'esquisser certains traits
saillants du système juridique « négro-africain », relevant à quel point les structures sociojuridiques africaines s'opposent parfois aux concepts occidentaux modernes et notamment
aux bipartitions classiques des systèmes européens (secteurs public et privé ; droit pénal et
droit civil). La pensée juridique africaine en matière de droit de propriété, notamment, est
analysée comme radicalement opposée aux conceptions romaines et européennes, puisque
la terre, chez les Africains, est largement inappropriable (J. Poirier, « L'originalité des droits
coutumiers de l'Afrique noire », Droits de l'Antiquité et sociologie juridique. Mélanges Henri
Lévy-Bruhl, Paris, Sirey, 1959, p. 485-496).
84. Questionnaire d'ethnologie juridique appliqué..., op. cit., p. 11.

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