Contextes - Penser l'ancien droit privé - 132

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DROITS PRIVÉS NON OCCIDENTAUX

la période coloniale97. De nombreux textes ultérieurs, des années 1980,
condamnent les tentatives de rédaction des coutumes des années 1960,
jugées inefficaces98, mais surtout néocoloniales dans leur esprit. Dans ce
concert réprobateur, le rôle équivoque joué par les juristes occidentaux lors
de la phase des indépendances est particulièrement blâmé99. C'est, cependant, Étienne Le Roy qui s'illustre dans ce combat contre l'utilisation de
concepts étrangers pour penser le droit africain100, prise de position qui le
conduit d'ailleurs à exprimer d'importantes réserves sur les travaux de Max
Gluckman101. En somme, vingt ans après les décolonisations, l'investissement de Jean Poirier dans la rédaction des coutumes des nouveaux États
africains est présenté comme une erreur historique par ses successeurs. Il
est remarquable que son nom soit systématiquement omis de ces différents textes critiques et sa réflexion sur le transfert de concepts purement
et simplement passée sous silence. Or - ironie de l'histoire -, Jean Poirier
avait fait subir le même sort, au début des années 1960, à son plus immédiat
prédécesseur : René Maunier.

B. L'effacement de l'œuvre de René Maunier
De même que le Laboratoire avait rayé Jean Poirier de sa mémoire en
raison de ses compromissions dans la décolonisation de l'Afrique, ce dernier
efface - ou en tout cas minore - l'acteur majeur de l'institutionnalisation de
l'ethnologie juridique que fût René Maunier dans les années 1930. Auteur,
dans l'entre-deux-guerres, de nombreux travaux de sociologie coloniale,
Maunier s'évertue à fonder une science coloniale légitimant largement l'inégalité des races et la domination des peuples colonisés. Ses écrits en ce sens
(Loi française et coutume indigène en Algérie, 1932 ; Sociologie coloniale,
97. « Acculturation juridique et dépendance en Afrique noire. L'exemple du droit
parental et foncier », La dépendance de l'Afrique et les moyens d'y remédier. Actes de la
4e session du Congrès international des études africaines, dir. V.-Y. Mudimbe, Kinshasa,
12-16 décembre 1978, Paris, Berger-Levrault, 1980, p. 338.
98. C'est le cas, par exemple, de Jacques Vanderlinden, qui qualifie ces entreprises de droits
« de fantaisie » (« Synthèse de clôture. Développer la connaissance des droits africains pour
développer les droits africains », Symposium. La connaissance du droit en Afrique, Bruxelles,
Académie royale des Sciences d'Outre-Mer, 1985, p. 360).
99. « De l'ignorance à la méconnaissance des traditions juridiques africaines », ibid.,
p. 295-298. Quittant le Laboratoire au début des années 80 pour fonder le Centre de Droit
et Cultures de l'Université de Paris X-Nanterre, Raymond Verdier explique s'efforcer de
publier, dans la nouvelle revue Droit et cultures, des travaux de chercheurs africains sur
leurs traditions juridiques.
100. Voir, par exemple, « La coutume et la réception des droits romanistes en Afrique
noire », La coutume. Recueil de la Société Jean Bodin pour l'histoire comparative des institutions, Bruxelles, De Boeck-Wesmael, 1990, p. 117-150.
101. « L'esprit de la coutume et l'idéologie de la loi », ibid., p. 212.

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