Contextes - Penser l'ancien droit privé - 136

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DROITS PRIVÉS NON OCCIDENTAUX

Des remarques similaires se retrouvent sous la troisième partie du questionnaire, consacrée au « droit contractuel », consistant à « dépeindre les
conventions et les arrangements, soit personnels, soit collectifs, tels qu'ils
sont accoutumés dans l'usage populaire ». L'identification et l'analyse de
ce droit non-officiel doivent s'opérer, selon Maunier, « directement, par
observation, comme on ferait pour des cérémonies, ou pour des divertissements ». Dès lors, l'enquête d'ethnographie juridique devra s'effectuer
sans se référer au Code civil et à ses catégories, voire en évitant d'employer
jusqu'à ses « dénominations ». L'emploi des concepts civilistes n'aboutirait, en l'espèce, qu'à altérer les faits. Tout l'intérêt de l'enquête consiste
à l'inverse, selon l'auteur, à « rechercher comment la pratique populaire
n'est pas le Code civil, de séparer le droit oral du droit écrit ». L'utilisation
de périphrases et de répétitions est préconisée par le professeur parisien
en lieu et place de termes techniques trop précis, qui n'aboutiraient qu'à
distinguer indûment « ce qui n'est pas distinct dans la réalité ». Suggestion
surprenante : cette réalité socio-juridique ne devra pas être recherchée dans
les actes notariés ou les recueils d'usages locaux rédigés par les juges de
paix112, trop imprégnés de la pratique des jurisconsultes et trop peu soucieux
du « milieu humain » entourant la norme. L'enquêteur devra, à l'inverse,
privilégier « les lieux publics où se réunit la population », et notamment les
« cafés » et les « marchés »113.
Malgré la radicalité du projet ethnographique de Maunier, pour qui, au
fond, la vie réelle du droit se montre rétive aux qualifications juridiques
napoléoniennes, son apport est largement minoré par ses successeurs, et
en particulier par Jean Poirier. Tout à son entreprise d'institutionnalisation de l'ethnologie juridique dans les années 1960, ce dernier procède,
dans un important texte programmatique, à une relecture de l'histoire de
sa discipline, qu'il fait débuter après-guerre, avec l'œuvre d'Henri LévyBruhl, érigé en père fondateur et en figure tutélaire de la discipline114. S'il
consacre un long paragraphe à ce dernier, Maunier, en revanche, est évacué
en quelques lignes. Brièvement saluée pour sa « largeur de vue certaine »,
son œuvre est aussitôt accusée d'être entachée de « préconceptions »115.
Pourtant, la réflexion méthodologique de Poirier sur la projection des
concepts aurait indubitablement eu davantage à gagner de la lecture de
Maunier que de celle de Lévy-Bruhl, d'autant plus que l'un des arguments
112. Voir, sur ces derniers, L. Assier-Andrieu (dir.), Une France coutumière. Enquête sur
les « usages locaux » et leur codification (xixe-xxe siècles), Paris, Éditions du CNRS, 1990.
113. R. Maunier, Introduction au folklore juridique..., op. cit., p. 27.
114. Cf. sur cette question, la contribution décisive de F. Audren, « Comment (ne pas)
devenir un ethnologue du droit. Henri Lévy-Bruhl, les primitifs et la juristique », Henri
Lévy-Bruhl juriste et sociologue, dir. E. Chevreau, F. Audren et R. Verdier, Paris, Classiques
Garnier, 2018.
115. J. Poirier, « L'ethnologie juridique », loc. cit., p. 31.
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