Contextes - Penser l'ancien droit privé - 142

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CONTRATS ET PROPRIÉTÉ

rapport d'interdépendance entre l'objet pensé et celui qui pense). Une telle
distance restitue l'ancien droit à sa singularité. Mais dans quelle mesure
cet ancien droit rendu à sa singularité peut-il être mis en relation avec
le présent4 et en quoi peut-il nous être utile à quelque chose ? S'agirat-il de fournir une explication, une justification-légitimation, un modèle
à suivre, un exemple en vue de questionner ? Plus généralement, à partir
de quoi et comment penser cet objet passé ? Autrement dit, penser quoi et
le penser comment pour, comme on a pu l'écrire pour définir la mission
de l'historien, « comprendre ce qui était en jeu dans le terrain d'enquête
qu'il a choisi dans le passé »5 ?
Ici, il s'agit de penser l'ancien droit privé, plus spécialement l'ancien
droit des contrats. En quoi l'action de penser (historiquement) ce qu'il
est convenu aujourd'hui de regarder comme une branche spéciale du
droit privé soulève-t-elle - si jamais elle en soulève - des problématiques
particulières et appelle-t-elle une attitude spécifique ? On serait tenté de
répondre : en rien, sauf à voir dans la distinction du droit public et du
droit privé et, à l'intérieur de ce dernier, dans les différentes distinctions
qui le structurent aujourd'hui, des catégories essentielles (donc invariantes) - dans leur existence comme leur contenu... Mais le risque serait
alors de sous-estimer cette circonstance que l'objet dont il est question
ici appartient à la classe des objets dont il est difficile de penser le passé
historiquement parce que tout paraît s'y inscrire dans un continuum. Les
acteurs eux-mêmes alimentent cette impression et, d'une certaine manière,
les présupposés évolutionnistes s'alimentent aussi, paradoxalement, du
déterminisme - si l'évolution des faits normatifs passés n'est pas due
au hasard, c'est peut-être qu'elle poursuit une fin que la macro-histoire
peut dévoiler... Rien ne semble advenir ou n'est présenté comme devant
advenir, parce que tout ne serait que continuité... Malgré la diversité des
sources, pourtant facilement perceptible, prévaudrait finalement une unité
des concepts (à son paroxysme, l'attitude conduira la romanistique allemande du xixe siècle à évoquer les Gleichsbleibende Rechtsideen censées
constituer le droit germanique6). Bref, un objet dont le régime d'historicité relève d'autant moins de l'évidence que les règles juridiques en
cause peuvent être appréhendées en tant que réalisations-réussites intellectuelles aussi bien que comme des artefacts historiques et que la tension
entre ces deux approches paraît difficilement maîtrisable. Or penser cet
ancien droit, c'est l'identifier en tant que tel et donc commencer par le
4. L'histoire est en effet la relation entre l'événement passé et le présent, cf. H.-I. Marrou,
De la connaissance historique, Paris, 1954, p. 36.
5. J.-L. Halpérin, « Le droit et ses histoires », Droit et Société, 75/2010, p. 311.
6. Cf. not. les travaux de A. Heusler, Institutionen des deutschen Privatrechts, Leipzig,
1885.

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