Contextes - Penser l'ancien droit privé - 15

PEUT-ON PENSER L'ANCIEN DROIT PRIVÉ

Un aveu, enfin : si la critique de l'érudition stérile, par trop simpliste,
mérite ainsi d'être nuancée, elle porte toutefois en elle une part de vérité.
Paradoxalement, l'histoire n'a jamais été si forte, ni si faible au sein des
facultés de droit : forte par la multiplication de travaux d'érudition, par le
renouvellement de ses champs traditionnels de recherche et par son ouverture relative aux autres sciences sociales, comme l'économie et la sociologie ;
fragilisée, cependant, par le faible souci épistémologique et l'abandon aux
historiens habitudinaires qui, depuis plusieurs décennies, sont progressivement devenus totalement étrangers aux problèmes de législation.
Le divorce auquel s'exposent depuis plusieurs décennies le droit et son
histoire tient en partie à cette dualité que peinent à assumer les historiens
du droit privé, déchirés entre science historique para-juridique et dogmatique juridique anhistorique. Comme l'a relevé Jean-Louis Halpérin, la
consécration tardive de l'histoire du droit donne à cette matière les traits
d'une discipline qui, vraisemblablement en raison de son ambivalence, se
sent perpétuellement en état de crise14. Cette crise permanente, qui traverse
l'ensemble de l'histoire du droit, est particulièrement visible au sein des
recherches en droit privé, domaine où paraît primer la technique juridique.
Le point d'équilibre entre la démarche historique et la technique juridique
constitue dès lors un objectif tout à la fois clivant et décisif. Poursuivant
les débats consacrés à l'ordre juridique médiéval et moderne, cet ouvrage
a donc pour ambition de livrer une réflexion épistémologique sur l'un des
enjeux de l'historiographie juridique : peut-on penser l'ancien droit privé
à partir des catégories juridiques contemporaines ?

II - UN RETOUR AU SOUCI MÉTHODOLOGIQUE
Il s'agit là d'un double questionnement méthodologique, qui porte tant
sur la technique juridique des historiens du droit que sur leur démarche
historienne. Pourtant - et le constat n'est pas nouveau15 - les historiens
du droit se posent trop peu souvent eux-mêmes ces questions méthodologiques, lesquelles ne cessent en revanche d'agiter les « historiens des
lettres »16. Parmi de multiples exemples, on se contentera ici de reprendre
14. J.-L. Halpérin, « L'histoire du droit constituée en discipline... », loc. cit.
15. Outre l'article de Jacques Poumarède précité, voir par exemple les critiques rapportées
par Frédéric Audren dans « Les juristes en action : aux origines du droit politique moderne.
L'histoire du droit et ses méthodes - Essai d'historiographie », Histoire, économie et société,
t. 16, 1997, p. 555-578.
16. Sur ce qualificatif quelque peu réducteur, voir dernièrement P. Bonin, « L'historiographie
de l'histoire du droit, tendance récente et prochains territoires », L'Histoire du droit en

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