Contextes - Penser l'ancien droit privé - 151

PENSER L'ANCIEN DROIT DES CONTRATS

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En quoi consiste-t-il ? On a pu le définir comme une « question de
pensée »31 ou comme le geste qui consiste à se servir des concepts modernes
afin d'être compris du lecteur ou à transposer dans le passé certaines de nos
problématiques (au motif que, même si les acteurs ou les sources juridiques
passés n'ont pas formalisé une question que nous nous posons, il doit être
possible de questionner ces acteurs et ces sources). La démarche adoptée par
Nicole Loraux à propos de la Grèce ancienne en fournit une illustration, qui
consiste non pas à assigner une origine ou identifier des signes précurseurs,
mais à déceler, dans notre présent, le « travail de problèmes très anciens »32.
Au fond, l'anachronisme contrôlé - ou maîtrisé - ne se définit jamais mieux
que lorsqu'il est opposé à son contraire, l'anachronisme sauvage, souvent
inavoué, dont la conséquence est, tout en empêchant la connaissance du
passé, de placer définitivement le présent à l'abri de tout effet retour, donc de
toute critique. Une telle pratique doit évidemment être proscrite, spécialement lorsque l'objet étudié - et c'est le cas de ceux dont s'empare l'historien
du droit privé de l'Ancien Régime - consiste dans des productions doctrinales ou des concepts qui se donnent volontiers pour anhistoriques, comme
s'il s'agissait d'invariants ou du fil d'une même pensée qui se déroulerait dans
le temps, chacun s'inscrivant dans les pas de ses prédécesseurs. En revanche,
le recours à l'anachronisme contrôlé présente une relative pertinence, à la
condition qu'il soit utile tant à la compréhension du passé (son utilité tient
alors à sa valeur heuristique, qu'il faut toujours vérifier) qu'à la réflexion
sur notre présent. Allié à une subjectivité assumée, il participe de la force
critique de l'histoire, met en évidence le rôle des facteurs non objectifs - non
structuraux ou systémiques - et replace l'homme au cœur de l'histoire. On
peut même se demander s'il n'est pas nécessaire, dans la mesure où il permet
de gérer la présence inexpugnable de l'historien dans son propre discours
sur le passé, pour peu que ce dernier n'adhère pas à (ou que du moins il
doute de sa capacité à) l'objectivité absolue...33
renforcée également par l'école des Annales, par ailleurs souvent critique à l'endroit de
l'école méthodique.
31. J. Rancière, « Le concept d'anachronisme et la vérité de l'historien », loc. cit., p. 58.
32. N. Loraux, « Éloge de l'anachronisme en histoire », Le Genre Humain, 27, 1993,
p. 32 (repris dans Les voies traversières de N. Loraux : Clio, Histoire, Femmes et Sociétés,
2005). Cette démarche s'inscrit dans une relative réaction à l'attitude adoptée avant elle
par J.-P. Vernant (cf. Mythe et pensée chez les Grecs, 1965, not. p. 250 où Vernant prend
acte de ce que la logique moderne, fondée sur l'identité, est radicalement différente de la
logique du mythe, qui n'obéit pas à la binarité du oui et du non) dont le rejet légitime de
toute idée d'une nature humaine universelle et a-historique avait conduit à mieux saisir la
pensée grecque, mais avait fini par empêcher les vivants, sans doute en raison d'une trop
grande importance attachée au déterminisme matériel, de s'adresser aux Grecs avec leurs
propres mots et pour leurs propres questionnements.
33. Cf. H.-I. Marrou, De la connaissance historique, op. cit., p. 36. De même, P. Ricœur
(Histoire et vérité, Paris, 1964, p. 30) montre que l'histoire relève d'une épistémologie mixte,

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