Contextes - Penser l'ancien droit privé - 16

PROLÉGOMèNES

les « règles heuristiques » développées par Marc Angenot17, afin de voir
dans quelle mesure cet « ethos recommandé à l'historien des idées » peut
également servir à l'historien du droit privé18. Marc Angenot dégage deux
« règles fondamentales », au sujet desquelles il précise immédiatement que
« l'historien doit s'efforcer [d'en] tenir compte [...] alors même qu'il sait
ne pouvoir parvenir à se conformer à une interprétation rigoureusement
contingente et aléatoire des enchaînements historiques »19.
La première règle formulée par l'historien des idées est la suivante : « les
idées ne sont pas des entéléchies », qu'il développe ainsi : « les idées ont
une histoire (un devenir par leur transmission-altération, une diachronie),
mais ce n'est pas une histoire en forme de progrès ni de mélioration, ni de
clarification - suivie éventuellement de régression, désaffection, décadence
et décomposition »20. La mise en garde s'applique évidemment à l'historien
du droit qui, comme n'importe quel autre historien, « ne devrait pas laisser
percevoir ou donner à entendre une quelconque continuité téléologique,
laquelle ne peut être qu'une illusion d'"optique" cognitive »21. Il n'est pas
si banal que cela de le rappeler, tant il est difficile de se conformer à cette
règle. Naguère au service d'une science juridique réactionnaire, un tel écueil
s'observe encore dans une forme diluée de continuisme évolutionniste et
introductif auquel reste amarrée une partie de la doctrine et de l'historiographie. Il peut paraître néanmoins essentiel que les historiens du droit
s'emparent systématiquement de cette précaution méthodologique, afin
de ne pas disqualifier leurs travaux, en s'inscrivant pleinement dans les
enjeux de la recherche, tel, par exemple, le très actuel débat autour de la
construction de grands récits, et spécialement d'un récit national22. Plus
que de prétendre respecter aveuglément ce premier principe heuristique,
il s'agit avant tout de s'interroger sur ses modalités d'application pour les
France. Nouvelles tendances, nouveaux territoires, dir. J. Krynen et B. d'Alteroche, Paris,
Classiques Garnier, 2014, p. 547-548.
17. M. Angenot, L'histoire des idées. Problématiques, objets, concepts, méthodes, enjeux,
débats, Liège, Presses universitaires de Liège, 2014, p. 317-344.
18. Pour une application des travaux de Marc Angenot par une historienne du droit en
histoire des idées politiques, voir A.-S. Chambost, « "Ce n'est pas du droit...". L'histoire
des idées politiques est-elle utile en droit ? », Revue d'histoire des facultés de droit et de la
culture juridique, du monde des juristes et du livre juridique, t. 35, 2015, p. 497-538. L'auteur
souligne d'ailleurs p. 516 que « si l'histoire du droit interroge peu ses méthodes, une vaste
réflexion méthodologique traverse [...] le champ de l'histoire des idées ».
19. M. Angenot, L'histoire des idées..., op. cit., p. 320.
20. Ibid.
21. Ibid.
22. On notera par exemple que sur les cent vingt-deux contributeurs de l'Histoire mondiale
de la France (dir. P. Boucheron, Paris, Seuil, 2017), un seul est historien du droit (Jean-Louis
Halpérin). Cet ouvrage, par le volume de ses ventes, démontre en outre l'importance de ces
débats méthodologiques au-delà des milieux académiques.

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