Contextes - Penser l'ancien droit privé - 169

ABSTRACTION ET ANACHRONISME

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sité de s'abstenir de l'emploi des catégories contemporaines, s'en servaient
en pratique dans leurs ouvrages en les présentant comme des constantes
de l'esprit humain. D'un point de vue méthodologique il s'agissait sans
doute d'une contradiction grave puisqu'ils présentaient, de manière fausse,
certaines catégories juridiques comme étant inscrites dans la nature de
l'homme20. Interpréter Homère par Homère, comme le voulait Aristarque
de Samothrace21, se révèle alors une chimère.
L'on comprend aisément pour quelle raison il était difficile pour les
tenants du refus de l'anachronisme de mettre en pratique leur approche
méthodologique. Une analyse authentiquement juridique pourra difficilement se priver de la dogmatique contemporaine, ne serait-ce que parce
qu'elle constitue la forma mentis des romanistes, pour la plupart formés
dans les facultés de droit, à laquelle il est presque impossible de se dérober.
L'étude de cette querelle désormais datée nous permet de comprendre
que la légitimité, voire la nécessité du recours à l'anachronisme dans les
études romanistiques, ne fait pas de doute. La question est plutôt de savoir
quelles sont les précautions qui doivent entourer l'emploi des catégories
juridiques contemporaines dans l'analyse des sources romaines. En effet,
le recours à l'anachronisme, même s'il est effectué par un interprète qui
a conscience du décalage entre les solutions romaines et les catégories
contemporaines, peut donner lieu à des lectures déformantes des sources.
Une telle erreur a d'ailleurs été reprochée à Betti. En dépit de son refus du
pandectisme, cet auteur n'a pas su éviter des reconstructions qui ont actualisé
les solutions romaines22.
L'anachronisme se révèle alors nécessaire, mais, en même temps, il est
source de problèmes graves dans l'exégèse des textes juridiques romains.
À cet égard, la question de la nullité et de la caducité des contrats est
paradigmatique de ces difficultés méthodologiques. En effet, le domaine qui
est aujourd'hui connu en droit français sous le nom de nullité et de caducité présente en droit romain des caractéristiques tout à fait spécifiques23.
20. A. Schiavone, « Negozio giuridico... », loc. cit., p. 910.
21. Aristarque de Samothrace, qui avait dirigé la Bibliothèque d'Alexandrie au iie siècle
avant J.-C., est resté célèbre pour sa volonté d'éviter tout anachronisme dans les études
littéraires. Cette intention est exprimée par l'adage Ὅμηρον ἐξ Ὅμήρου σαφηνίζειν, à savoir
interpréter Homère par Homère. Cf. L. Di Leo, Nullità ed inutilità con particolare riferimento alla stipulatio, thèse dactylographiée, La Sapienza - Università di Roma, 2014, passim.
22. A. Schiavone, « Negozio giuridico... », loc. cit., p. 911.
23. Sur le problème de la nullité et caducité du contrat en droit romain, voir : A. Masi,
« Il negozio utile o inutile in diritto romano », Rivista italiana per le scienza giuridiche,
t. 93, 1959-1962, p. 21 sq. ; S. Tondo, « Inesistenza e inefficacia del negozio giuridico »,
Novissimo Digesto Italiano, Torino, UTET, 1962, t. VIII, p. 994 sq. ; O. Robleda, La nulidad
del acto jurídico, Roma, Libreria editrice dell'Università Gregoriana, 1964 ; S. Di Paola,
« Considerazioni su Gai. 3.176 (Novazione mediante "stipulatio post mortem") », Studi

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