Contextes - Penser l'ancien droit privé - 178

170

CONTRATS ET PROPRIÉTÉ

est appliquée aux sources romaines, elle ne peut que les dénaturer en créant
des catégories qui n'existent pas. L'emploi de ces concepts dans les études
romanistiques était alors à la base d'un processus d'hypostasiation qui
a donné naissance à des nouvelles réalités, inconnues des juristes romains.
Ce processus de substantivation était d'autant plus gênant dans le cas
de la nullité. En effet, quand on parle de nullité du contrat on emploie un
substantif qui a son origine dans l'adjectif et pronom latin nullus. Ici c'est sa
signification d'adjectif qui retiendra notre attention. Nullus est un adjectif
indéfini dont l'emploi attribue à la phrase une signification négative par
rapport au substantif auquel il est accordé, comme en français « nul homme
ne sera exempté ».54 Toutefois en français « nul » en tant qu'adjectif peut être
tantôt indéfini tantôt qualificatif55. Dans la phrase « le contrat est nul », cet
adjectif a, à la différence du latin, une valeur qualificative. Quand les sources
romaines ont recours à l'adjectif nullus pour un contrat, elles ne le qualifient
pas, mais elles indiquent simplement qu'il n'y a aucun contrat. Les sources
juridiques romaines n'ont jamais recours à la catégorie de la nullitas.
D'ailleurs, ce terme n'est d'emploi ni classique ni postclassique. Il a été
remarqué qu'une telle absence n'est pas étonnante puisqu'il est impossible de
créer des substantifs à partir d'un adjectif indéfini. Le terme nullitas, comme
l'a observé Mario Talamanca, aurait alors dû sonner comme sonnerait, en
langue française, le mot « aucunité »56.
Le terme nullité est dès lors une catégorie qui qualifie l'inexistence et
son application aux sources romaines risque d'engendrer des confusions en
interprétant comme une qualification la simple constatation d'une absence57.
La réaction à la théorie générale de la pathologie du negotium des pandectistes a été rapide. Il a paru en effet évident que cet édifice des catégories
abstraites ne correspondait pas au cadre offert par les sources. Un cadre,
soit dit en passant que Windscheid, avait déploré comme étant confus et
manquant de rigueur58.
54. Sur ces remarques grammaticales, voir amplius M. Talamanca, « Inesistenza, nullità... »,
loc. cit., p. 16-18. S. Di Paola, « Ricerche esegetiche... », loc. cit, p. 12 ; p. 70 sq. avait déjà
mis l'accent sur la signification de nullus comme adjectif indéfini.
55. Tout comme en latin, le mot « nul » peut être employé en français comme un pronom
indéfini. C'est le cas de l'adage « nul n'est censé ignorer la loi ». Une simple recherche dans
un dictionnaire de français confirme que « nul » a trois emplois : adjectif indéfini, adjectif
qualificatif et pronom indéfini.
56. M. Talamanca, « Inesistenza, nullità... », loc. cit., p. 17-18.
57. S. Di Paola, Contributi..., op. cit., p. 86 ; M. Brutti, « Invalidità... », loc. cit., p. 566.
58. B. Windscheid, Il diritto delle Pandette, op. cit., § 82, t. I, p. 265, n. 2 affirmait : « nelle
fonti le espressioni romane corrispondenti alla parola tedesca Nichtigkeit (nullità) negotium

Contextes - Penser l'ancien droit privé

Table des matières de la publication Contextes - Penser l'ancien droit privé