Contextes - Penser l'ancien droit privé - 184

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CONTRATS ET PROPRIÉTÉ

L'analyse des sources fragilise en outre de manière très grave la distinction nette entre nullus et inutilis. Il est vrai que l'adjectif inutilis semble être
employé de manière plus spécialisée pour certains actes juridiques (comme
la stipulation) alors que nullus s'applique de façon plus généralisée77.
Toutefois, les textes ne se servaient pas de ces adjectifs dans des hypothèses différentes de pathologie contractuelle78. Par exemple, dans le cas de
la stipulation avec une turpis causa, Pomponius79 employait l'adjectif nulla et
Julien80 inutilis. Les deux juristes ont été actifs sous le principat d'Hadrien,
au cours de la première moitié du iie siècle81 : la différence de vocabulaire ne
peut donc pas être imputée à une évolution due à l'écoulement du temps. Il
en va de même pour le cas du legs en la faveur du créancier, qui est dépourvu
d'intérêt pour lui82. Paul et Ulpien, qui étaient contemporains, ont qualifié
le legatum, respectivement, d'inutile et de nullum83.
L'extrait du livre 26 Ad edictum d'Ulpien, qui a été transmis au
Digeste 12.1.9.4, constitue un passage encore plus intéressant. En effet, ici
il n'est plus question de l'emploi nullus et inutilis dans le même contexte
par deux juristes contemporains, mais c'est Ulpien qui utilisait de manière
fongible les deux mots dans le même passage :
Numeravi tibi decem et haec alii stipulatus sum : nulla est stipulatio : an
condicere decem per hanc actionem possim, quasi duobus contractibus intervenientibus, uno qui re factus est, id est numeratione, alio qui verbis, id est
inutiliter, quoniam alii stipulari non potui ? Et puto posse.84
77. M. Talamanca, « Inesistenza, nullità... », loc. cit., p. 27.
78. Sur ce point, voir : R. Quadrato, Sulle tracce dell'annullabilità..., op. cit., p. 49 sq. ;
M. Talamanca, « Inesistenza, nullità... », loc. cit., p. 21 sq.
79. Pomponius 15 ad Sabinum D. 45.1.19 : Si stipulatio facta fuerit : « si culpa tua divortium factum fuerit, dari ? », nulla stipulatio est, quia contenti esse debemus poenis legum
comprehensis : nisi si et stipulatio tantundem habeat poenae, quanta lege sit comprehensa.
(« Si une stipulation est formulée ainsi "si le divorce est fait pour ta faute, promets-tu de
donner ?", il n'y a pas de stipulation puisque nous devons nous contenter des peines qui sont
prévues par les lois ; à moins que la stipulation ait la même peine qui est prévue par la loi. »)
80. Julien 2 ad Urseium Ferocem D. 45.1.61 : Stipulatio hoc modo concepta : « si heredem me
non feceris, tantum dare spondes ? » inutilis est, quia contra bonos mores est haec stipulatio.
(« Une stipulation formulée de cette manière : "si tu ne m'institues pas héritier, promets-tu
de donner tant ?" est inutile car cette stipulation est contraire aux bonnes mœurs ».)
81. R. Quadrato, Sulle tracce dell'annullabilità..., op. cit., p. 50-51.
82. Le débiteur pouvait laisser le montant de sa dette par legs seulement dans l'hypothèse
que cette disposition mortis causa avait un intérêt pour son créancier.
83. Paul 6 ad legem Iuliam et Papiam D. 30.29 (inutile est legatum) ; Paul 10 quaestionum
D. 34.3.25 (inutile est legatum/utile esse legatum) ; Paul liber singularis ad legem Falcidiam
D. 35.2.1.10 (inutile legatum erit/utile erit) ; Ulpien 36 ad Sabinum D. 23.3.29 (nullum
legatum est). Voir : Quadrato, Sulle tracce dell'annullabilità cit., p. 51-52.
84. Ulpien 26 ad. ed. D. 12.1.9.4 : « Je t'ai donné dix et je me suis fait promettre cette somme
pour une autre personne : cette stipulation est inexistante : puis-je récupérer la somme de

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