Contextes - Penser l'ancien droit privé - 185

ABSTRACTION ET ANACHRONISME

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La stipulation pour autrui était d'abord dite nulla et ensuite qualifiée
par l'adverbe inutiliter. La présence de l'adverbe à la place de l'adjectif
ne change rien puisque plusieurs sources attestent qu'inutilis et inutiliter
étaient utilisés de manière équivalente85.
La fongibilité de nullus et inutiliter dans le fragment d'Ulpien et les
autres fragments cités soulève des doutes sur la possibilité d'envisager une
séparation nette entre les deux concepts. Ce problème n'avait pas échappé
aux tenants de cette bipartition qui, pour défendre leur hypothèse, soulignaient d'abord l'absence de rigueur du lexique romain de la pathologie de
l'acte juridique et insistaient surtout sur le fait que le mot inutilis pouvait
être considéré comme une sorte de concept général qui comprenait en
lui la nullité86. En effet, tout contrat nul est un contrat inefficace, mais,
en revanche, l'inverse n'est pas vrai. Il existe des actes valides qui sont
dépourvus d'effets, comme c'est le cas de contrats caducs.
Cette explication n'emporte pas l'adhésion : elle consiste à interpréter
les sources romaines à la lumière d'une distinction qui, manifestement,
n'était pas conceptualisée à Rome. Elle applique au passé les distinctions
que la doctrine a faites, dans le sillage de la pandectistique, entre invalidité et inefficacité. L'absence de rigueur dans l'emploi de nullus et inutilis
paraît être un indice important qui prouve que la jurisprudence romaine
n'a pas conceptualisé à ce propos différentes catégories de pathologie de
l'acte juridique87.
Une démarche excessivement abstraite constitue un véritable danger
quand on analyse les sources romaines qui traitent de la pathologie
de l'acte juridique. Pourtant, il est impossible pour nous d'envisager
ces textes sans avoir recours à aucun concept général. La critique de
dix par l'action appelée condictio, comme si deux contrats étaient survenus, l'un qui est
fait par la remise de la chose, à savoir le paiement, l'autre qui est fait par l'échange de mot,
ce dernier est fait de manière inutile puisque je n'ai pas pu effectuer une stipulation pour
autrui ? Et j'estime que cela est possible. »
85. Cf. R. Quadrato, Sulle tracce dell'annullabilità..., op. cit., p. 52.
86. La reconstruction de Di Paola est développée par L. Di Leo, Nullità..., op. cit., p. 184
qui a qualifié le terme inutilis d'Oberbegriff.
87. Les observations suivantes de R. Zimmermann, The Law of Obligations, op. cit.,
p. 679-680 décrivent de manière limpide l'état des sources : « the Roman lawyers were mainly
interested in whether an action was available in a given situation or not ; they did not pay
too much attention to a neat analysis of why an action could not be granted under certain
circumstances and what further ramifications that entailed. [...] Irritating for the modern
lawyer is also the fact that no clear distinction is was drawn between those cases where a valid
contract had not come into existence (because of the lack of one of its requirements) and
where a transaction had in fact been concluded but was unenforceable "iure civili" because
its content, was, in some or other way, objectionable. »

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