Contextes - Penser l'ancien droit privé - 30

RAPPORT(S) AU TEMPS

B. Présentisme dogmaticien
Selon Nicolas Laurent-Bonne, l'alternative au chronocentrisme consisterait à célébrer le remariage de l'histoire et de la dogmatique, en invitant
les historiens à mettre leur savoir au service de l'élargissement aux choses
passées du répertoire mis à la disposition des juristes dogmaticiens contemporains (ce qu'on appelle couramment la doctrine). Il s'agirait de peindre
ces choses passées (règles, principes, institutions, concepts etc.) de telle
sorte qu'elles soient à nouveau disponibles aux juristes qui contribuent,
par l'activité doctrinale, à l'évolution du droit.
On voit bien de quoi il est question. Nombreux sont les juristes techniciens qui estiment que l'assignation d'une origine à une règle, un principe,
une catégorie ou un argument donné permet d'en saisir la signification
précise, généralement mais pas toujours en lien avec la recherche de l'intention de son premier auteur. Le sens d'une disposition législative n'est-il
pas à chercher dans l'intention du législateur ? Cette démarche se heurte
toutefois à l'écueil de ne pas épuiser les possibles interprétations du droit
positif contemporain et de ne pas pouvoir prétendre à l'exclusivité. Elle
devrait donc être complétée par l'assignation d'une fonction comparative
au discours historien. Cette comparaison peut se décliner dans l'espace
(droit comparé) ou dans le temps (histoire du droit). En organisant la
comparaison, et parfois la confrontation du droit positif contemporain et
des droits positifs passés, l'histoire donnerait à voir d'autres droits positifs
possibles, élargirait le registre des solutions disponibles, relativiserait les
solutions présentes, et pourrait jouer un rôle prospectif de guide pour la
pensée juridique contemporaine. D'excellents exemples illustrent la pertinence de la thèse. Le renouveau doctrinal des formes médiévales appelées
« propriétés simultanées » a été remis au goût du jour par l'excellente
Introduction historique au droit des biens d'Anne-Marie Patault et montre
fort bien comment un travail historien sérieux, pédagogique et proprement
stratégisé, peut remettre en circulation des dispositifs juridiques jusque-là
oubliés16. Où l'enquête historienne sert à l'enrichissement dynamique d'un
répertoire d'outils catégoriels au service de la doctrine juridique contemporaine. Ce faisant, l'histoire du droit se retrouverait au cœur de l'activité
juridique, en contribuant directement ou indirectement à la compréhension
et à l'interprétation du droit présent. La corporation des historiens sortirait
alors de la marginalité décorative (ou de la collatéralité) dans laquelle elle se
trouve cantonnée dans le dispositif des savoirs juridiques contemporains.
En indexant leur savoir à l'activité dogmatique, les historiens du droit
se verraient élevés au rang d'une catégorie particulière mais éminente de
16. A.-M. Patault, Introduction historique au droit des biens, Paris, PUF, 1989.

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