Contextes - Penser l'ancien droit privé - 41

COMMENT RENDRE LE PASSÉ CONTEMPORAIN ?

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Ce qui détruit l'historicité, ou ce qui la rend inoffensive, c'est l'occultation
de la discontinuité radicale entre le passé et le présent, l'occultation de la
disjonction des temps épistémologiques. On sait en effet en quoi consiste
cette discontinuité, et pourquoi elle est radicale : elle consiste dans l'abysse
qui sépare les choses mortes des choses vivantes. Inscrire les choses passées
dans une changeante continuité ou dans un éternel présent, c'est refuser
d'accepter que les choses meurent, c'est être dans le déni de ce qu'une fois
mortes, elles ne sont plus. La destruction dogmatique de l'historicité organise
le déni de la mort du droit. On saisit quelle passion anime une telle façon de
faire de l'histoire : c'est que nous y tenons à ces choses juridiques, et nous
regretterions beaucoup qu'elles meurent un jour, ou pire, qu'elles soient déjà
mortes. Il est en outre très dérangeant de se dire que des siècles d'histoire
pourraient n'avoir plus grand chose à voir avec nous, ou encore que nous ne
procéderions vraiment que des tous derniers chapitres de l'histoire humaine.
Ainsi, plutôt que d'inscrire, avec Nicolas Laurent-Bonne, le devenir de
l'histoire du droit dans l'horizon de la summa divisio des fonctions chronocentrique et présentiste, je proposerai volontiers l'alternative suivante : il y a
les enquêtes historiennes qui acceptent de se confronter à la corruption et à la
mort, à la discontinuité radicale des systèmes de signification, qui acceptent
donc d'aller chercher dans le passé ce qui nous est radicalement autre, et il y a
les enquêtes historiennes dont le but ou le résultat est de rester à la surface,
celle de la permanence des mots, des choses et des idées, afin de couvrir ces
failles et ces différences pour mieux occulter la corruption et la mort, et
échapper au malaise qu'elles procurent. La marque de l'historicité des choses,
c'est leur mortalité. Et la marque d'une histoire respectueuse de l'historicité
des choses, c'est de faire justice aux discontinuités radicales qui procèdent
de la mort de systèmes de signification hétérogènes. Le sens commun sait
cela et le dit bien plus clairement : l'histoire ne repasse pas les plats.
À quoi pourrait ressembler une histoire du droit inquiète, soucieuse des
équivoques, respectueuse de l'historicité, affrontée à la corruption et à la
mort, émancipée enfin de la dogmatique juridique ? Une chose est certaine,
si une telle histoire du droit devait prospérer, son père fondateur ne serait
pas Savigny, Prince incontesté du chronocentrisme et du présentisme réunis,
mais Nietzche, le maître généalogiste.

IV - DE L'HISTOIRE COMME GÉNÉALOGIE
La restitution de l'historicité de l'histoire ne revient ni à faire le récit
des choses passées pour esthétiser le présent ni à rendre ces choses passées
disponibles pour les juristes contemporains, mais à rendre aux choses
passées leur signification passée, et ce faisant, à introduire la possibilité de
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