Contextes - Penser l'ancien droit privé - 42

RAPPORT(S) AU TEMPS

nous laisser affecter par les décalages qu'elles introduisent dans la conception que nous nous faisons des choses présentes. Une histoire désindexée
de la dogmatique aura alors pour fonction d'enrichir notre imaginaire de ce
que nous ne savons plus penser, ce qui implique que le récit historique ne
soit jamais là où il est attendu. Au risque de l'inutilité pour la dogmatique
juridique. L'idée n'est pas nouvelle, elle est chez Nietzsche, qui use du
terme généalogie pour distinguer cette manière critique de faire de l'histoire
des versions monumentales ou antiquaires dont elle s'émancipe.

A. « Rien n'est assez fixe »
L'entreprise généalogique, telle qu'elle est entendue par Nietzsche, n'est
pas moins savante que les conceptions ordinaires de l'histoire, dans le sens
où elle consiste elle aussi dans la mise en œuvre de protocoles rigoureux et
d'enquêtes minutieuses, mais elle s'en démarque en ce qu'elle ne présuppose
aucune temporalité homogène, et partant aucune continuité, aucun point
fixe. Foucault, autre grand maître généalogiste, allait jusqu'à affirmer que
« rien dans l'homme, pas même son corps, n'est assez fixe pour comprendre
les autres hommes et se reconnaître en eux »47. On doit pouvoir dire la même
chose du droit : rien dans le droit, pas même sa représentation métaphorique
sous la forme d'un corps vivant évoluant dans un temps homogène, n'est
assez fixe pour engager des opérations de comparaison, de reconnaissance,
d'identification avec ce qui nous est contemporain. Et l'on doit pouvoir dire
la même chose des régimes d'historicité. Ce qui nous intéresse donc, c'est
de restaurer le sens d'événements qui n'en ont plus pour nous, parce qu'ils
se sont produits dans des « temps épistémologiques » ou des « épistémès »
disjointes de la nôtre.

B. L'arbre généalogique
En renonçant à faire fond sur une continuité supposée des objets qu'elle
se donne, la généalogie prend donc explicitement pour point de départ le
47. Voici la citation intégrale : « L'histoire "effective" se distingue de celle des historiens en
ce qu'elle ne s'appuie sur aucune constance : rien dans l'homme, pas même son corps, n'est
assez fixe pour comprendre les autres hommes et se reconnaître en eux. Tout ce à quoi on
s'adosse pour se retourner vers l'histoire et la saisir dans sa totalité, tout ce qui permet de la
retracer comme un patient mouvement continu, tout cela, il s'agit systématiquement de le
briser. Il faut mettre en morceaux ce qui permettrait le jeu consolant des reconnaissances.
Savoir, même dans l'ordre historique, ne signifie pas "retrouver" et surtout pas "nous
retrouver". L'histoire sera "effective" dans la mesure où elle introduira le discontinu dans
notre être même » (M. Foucault, « Nietzsche, la généalogie, l'histoire », Dits et écrits, Paris,
Gallimard, 1994, t. I, p. 1015).

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