Contextes - Penser l'ancien droit privé - 48

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RAPPORT(S) AU TEMPS

qui consiste précisément à interligere, relier (mais comment ?) des entités
différentes. À cet égard, la question de l'anachronisme des concepts pourrait bien apparaître comme le symptôme d'une situation plus générale.
Soit, tout d'abord, la différence des approches disciplinaires ; ici les
sciences historiques et la science doctrinale (dogmatique) du droit. Mais
le diagnostic posé se rencontre aussi bien dans les rapports toujours problématiques de la sociologie, ou de l'économie, par exemple, et du droit 2.
Ces difficultés sont bien connues ; on pourra donc mobiliser avec fruit les
ressources de l'épistémologie de l'interdisciplinarité.
Soit, ensuite, les écarts linguistiques qui se creusent entre idiomes différents. Où se retrouve aussi un dilemme, cette fois entre des traductions
annexionnistes et, à l'inverse, des dénis de traduction et des replis frileux
sur les irréductibles particularités de la langue à soi. Ces débats sont aussi
vieux que le multilinguisme lui-même, depuis Babel, et on tirera profit ici
des recettes d'une très riche traductologie, ainsi que de l'épistémologie de
la traduction qui les sous-tendent3.
Soit ensuite les différences inhérentes aux objets envisagés, domaine
du comparatisme4. Sans sortir de la discipline juridique, ni de l'époque
contemporaine, on confronte par exemple les contours de la réglementation
du défaut de paiement en droit français et en droit belge. Croisant deux
difficultés, on mesure les écarts entre la fiducie française et le trust anglais ;
cette fois, ce sont les ressources du droit comparé, et, plus largement, du
comparatisme, qui seront mobilisées.
Soit les problèmes liés à l'écoulement du temps et à la distance historique :
le monde qui change, mais aussi les mots pour le dire. Bien entendu les
difficultés s'accroissent, l'étrangeté se creuse lorsque, comme c'est presque
toujours le cas, ces différents écarts se cumulent : différences d'objets, de
langues et d'époques. Au sein d'une même discipline déjà l'exercice s'avère
complexe et risqué (qu'il y a-t-il de commun entre la « possession » de
l'article 2276 du code civil français d'aujourd'hui et la « possessio » du droit
romain ?) ; a fortiori lorsqu'on croise, à propos de cette « chose » problématique, le regard de deux disciplines distinctes. Comment croire qu'on
parle de la « même » chose ?

2. Cf. notamment, Droit, arts, sciences humaines et sociales : (dé)passer les frontières
disciplinaires, dir. S. Chassagnard-Pinet, Paris, LGDJ-Lextenso, 2013 ; Usages de l'interdisciplinarité en droit, dir. E. Bottini et alii, Presses universitaires de Paris Ouest, 2014 ;
Le droit en contexte, dossier de la Revue interdisciplinaire d'études juridiques, t. 70, 2013 ;
Sciences sociales, droit et science du droit, dossier de la Revue Droit et Société, t. 75, 2010.
3. F. Ost, Traduire. Défense et illustration du multilinguisme, Paris, Fayard, 2009.
4. C. Vigour, La comparaison dans les sciences sociales, Paris, La Découverte, 2005.
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