Contextes - Penser l'ancien droit privé - 49

L'ANACHRONISME DES CONCEPTS : UN SYMPTÔME ?

Ce constat de non exclusivité des difficultés qui nous rassemblent dans
ce colloque est à la fois rassurant, notamment dans la mesure où il nous
invite à faire notre profit de la manière dont elles sont traitées dans l'épistémologie de l'interdisciplinarité, la théorie de la traduction et le domaine du
comparatisme en général (I) ; mais, par ailleurs, cette généralisation de notre
problématique pourrait bien requérir un remède plus radical qui tient dans
un changement d'épistémologie (II). C'est que la prise en compte de ces
multiples écarts et différences finit par ébranler la perception qu'on prend
de « son » objet, au sein de « sa » discipline, dans « sa » langue et à « son »
époque : comment se pourrait-il que cet objet s'offre et demeure, évident,
inaltéré, déjà donné, consistant et stable ? N'est-il pas, peu ou prou, luimême traversé de toutes ces différences ? Nous nous apercevons alors que
les biais cognitifs, les anachronismes, les réductionnismes et autres violences
symboliques pourraient bien caractériser nos disciplines elles-mêmes, dont
la pureté, la cohérence et la clôture sont illusoires, et les objets aussi risqués
et construits que ceux que nous tentons d'étudier à l'interface des époques,
des langues et des différentes disciplines.

I - LES LEÇONS DE L'INTERDISCIPLINARITÉ,
DE LA TRADUCTOLOGIE ET DU COMPARATISME
Soit d'abord la difficile collaboration des disciplines. L'histoire du droit
n'a pas le monopole des griefs dénoncés plus haut sous forme de dilemme ;
la sociologie du droit, pour me limiter à ce seul exemple, progresse depuis
toujours dans le même inconfort. Tantôt, on déplore le peu d'échos que
suscitent auprès de la caste des juristes professionnels des analyses, externes
sans doute, mais pourtant éclairantes5. Jacques Commaille, qui fait ce
constat, démontre cependant, à l'égard cette fois d'un public de sociologues,
l'intérêt majeur que représente l'étude du droit pour la compréhension des
transformations de la société et du droit6. Où se retrouvent les effets de
cloisonnement qu'induisent la spécialisation des savoirs et la force d'inertie
des habitus dont fait état l'argumentaire du colloque. Ou alors, et c'était
la première branche du dilemme, on confirme la crainte de l'instrumentalisation des sciences sociales par le droit. Combien de pages n'a-t-on
écrites sur le danger de confiner la sociologie dans un statut d'ancillarité,
dès lors que les juristes n'y prêteraient attention qu'en marge des travaux
5. J. Commaille, « Les nouveaux enjeux épistémologiques de la mise en contexte du droit »,
RIEJ [Le droit en contexte], t. 70, 2013, p. 66 : « c'est plutôt le constat d'une ignorance réciproque dont il faut faire le constat, celle-ci allant de l'indifférence polie à la disqualification ».
6. J. Commaille, À quoi nous sert le droit ? Paris, Gallimard, 2016.

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