Contextes - Penser l'ancien droit privé - 54

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RAPPORT(S) AU TEMPS

entre disciplines, époques, objets et éventuellement langues. Mais, dans
ce schéma, tout se passe comme si les entités confrontées, par exemple les
disciplines concernées, restaient elles-mêmes à l'abri de ces interrogations et
de ces problèmes. C'est précisément ce présupposé que je voudrais discuter,
au bénéfice d'une montée en puissance épistémologique. Car enfin, qui
dit que la science du droit elle-même n'est pas la première à pâtir de cette
intemporalité analytique de ses concepts de base, et, sur l'autre rive, qui
nous assure que, par contraste avec une histoire du droit des juristes aseptisée, l'histoire des historiens serait, par définition, inventive et critique ?
Je tiens au contraire que, même lorsqu'elle traite d'objets contemporains,
dans sa langue nationale et dans une perspective « interne », propre à l'activité doctrinale ou aux exigences de la pratique, la science du droit souffre
des limites que lui impose, à la manière d'« obstacles épistémologiques »,
son orientation positiviste qui l'enferme dans une appréhension formaliste, analytique et statique du réel. Pour s'en persuader, qu'il me suffise
d'évoquer la difficulté de faire évoluer la conception « absolutiste » de la
propriété, pourtant soumise à d'innombrables démentis et de profondes
évolutions depuis des décennies17.
À l'inverse, on sait bien que ce réductionnisme, et de manière générale ces biais épistémologiques, ne sont pas l'apanage de la dogmatique
juridique ; le positivisme analytique se rencontre jusque dans la critique
littéraire ; la fermeture méthodologique ombrageuse domine dans l'économie politique main stream ; la science historique s'est souvent érigée en
« science du passé en soi », compris, écrit Marcel Detienne, comme « science
nationale », et bientôt comme « magistère de la conscience nationale »18. On
s'aperçoit alors que notre problématique se généralise ; loin de se confiner
aux seuls rapports entre des objets, elle s'inscrit au cœur même de ceux-ci.
C'est qu'il n'y a pas d'objet en soi qui pourrait se penser en dehors même
des rapports qui les constituent, des usages qui les déterminent, de l'histoire qui les façonne. C'était l'enseignement qui se dégageait en filigrane
des développements précédents.
Reprenons l'exemple de la traduction : nous avions renvoyé dos à dos
les deux positions opposées et illusoires de l'intraduisibilité aussi bien
que celle de l'omnitraduisibilité. La première prétendait s'enfermer dans
la forteresse d'une langue, d'une culture « sans pareille » - position de la
« part entière », sans mélange, position « intégriste » ; la seconde écrase les
réelles différences en postulant la capacité de la langue d'arrivée, la sienne,
17. M. Xifaras, La propriété. Étude de philosophie du droit, Paris, PUF, 2004 ; J.-P. Chazal,
« La propriété : dogme ou instrument politique ? Ou comment la doctrine s'interdit de
penser le réel », RTD civ. 2014, p. 774.
18. M. Detienne, Comparer l'incomparable, op. cit., p. 26.
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