Contextes - Penser l'ancien droit privé - 66

POINTS DE VUE « PRIVATISTES »

1. La personnalité morale
Le code civil a ignoré le mot, mais pas vraiment la chose. À preuve, son
article 529 qui attribue la qualité de meubles par la détermination de la loi
aux « actions ou intérêts dans les compagnies de finance, de commerce ou
d'industrie, encore que des immeubles dépendant de ces entreprises appartiennent aux compagnies ». Ce texte sous-entend que lesdites compagnies
sont propriétaires des immeubles, en conséquence qu'elles sont titulaires de
droits, partant qu'elles en ont la capacité... Certes la théorie n'en sera faite
que postérieurement, mais le concept vient de plus loin : les universités, lors
de leur création à partir du xie siècle, n'étaient rien d'autre que des universitates juris, c'est-à-dire des personnes juridiques dont on se plaisait ainsi
à souligner l'indépendance : ses créateurs les avaient d'ailleurs conçues sur
le modèle des corporations, autres personnes juridiques. Cela bien avant
les tout premiers pas du capitalisme, aux xviie et xviiie siècles, époque où
apparaît le terme de compagnie. Bel exemple d'un concept qui demeure
sous différentes appellations. Celui-ci abrite aujourd'hui des holdings, des
sociétés d'économie mixte ou des fédérations sportives, mais il permet
toujours au représentant d'une entité quelconque de l'engager valablement.
Il serait intéressant de savoir quand les universités ont pris le sens que
nous connaissons et qui a fait oublier leur sens primitif. Je note que dans
ses Mémoires, rédigés de 1675 à 1677, le cardinal de Retz emploie le mot
de compagnie au sens non pas d'entreprise, mais de corps constitué : pour
lui, le parlement de Paris est une compagnie, alors que pour nous une
cour d'appel est un corps constitué. La première compagnie au sens du
code civil, sauf erreur, a été la Compagnie des Indes Occidentales fondée
en 1664 par Colbert, mais l'usage du mot a sans doute tardé à se répandre.
À mon sens, le lent cheminement de la personnalité juridique mériterait
une étude, si ce n'est déjà fait.

2. Les principaux types de contrats
Je garde un souvenir ébloui de Jean-Philippe Lévy et de son cours
de doctorat sur « La vente dans les droits privés de l'Antiquité » : c'était
en 1959-1960. Grâce à de patientes recherches, ce maître incomparable
avait glané des renseignements sur les Égyptiens, les Hébreux, les Hittites,
les Assyriens, les Grecs et bien entendu les Romains. Mis à part ce dernier
cas, ce n'étaient souvent que des bribes, mais à partir desquelles il reconstituait un pan de civilisation juridique, à la manière de ces archéologues qui
dessinent le temple d'après un chapiteau cassé5. Son propos consistait à cher5. Le jour de l'oral, Lévy m'avoua qu'il ne se rappelait plus très bien de son cours tant
son élaboration avait été difficile ! « J'ai mes notes dans ma serviette », osai-je lui proposer.

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