Contextes - Penser l'ancien droit privé - 67

L'ATEMPORALITÉ ET L'AUTONOMIE

cher si le transfert de propriété avait lieu à l'accord des parties, à la livraison
ou au paiement du prix ou encore par une formalité supplémentaire. Eh
bien on se le demande encore ! Il faut aujourd'hui prendre en considération
soit l'accord (en principe), soit une formalité (contrat solennel ou réel),
soit la livraison (dans certaines ventes commerciales), soit encore le dernier
paiement (s'il y a réserve de propriété).
Si la chose et le prix constituent l'atome de vente, un même genre d'analyse structurale vaudrait probablement pour le bail ou le louage d'ouvrage,
voire pour le prêt ou le cautionnement. Certes on qualifiait jadis les deux
derniers nommés de petits contrats parce que relevant surtout du service
d'ami. Mais ils se sont largement professionnalisés depuis la deuxième
moitié du xxe siècle. Et le prêt d'argent comme le cautionnement ont pris
de nos jours une importance considérable tant dans la vie des affaires que
dans celle des particuliers. Or qu'est-ce qu'un grand contrat si ce n'est
celui que concluent d'innombrables parties ? Après tout, la société n'était
qu'un petit contrat à l'époque du code civil... Enfin le mandat ou plutôt le
concept de représentation s'ajoutera à la liste, car il revêt une importance
capitale, ne serait-ce que par ses liens avec celui de personnalité morale.
Et quid de la donation ? Elle consiste en principe à transférer la propriété
d'une chose sans demander de contrepartie, mais avec la parenthèse du
haut Moyen Âge qui avait introduit une grande confusion entre vente et
donation6. Or ce n'est là qu'un chapitre de son histoire tourmentée. Il
semble que les Romains et l'Ancien droit y aient vu un acte unilatéral. En
tout cas, les rédacteurs du code civil ont hésité avant d'en faire un contrat.
Point d'atemporalité par conséquent !

3. La succession
Réduite à l'atome comme précédemment, il s'agit de l'aptitude à transmettre ses biens post mortem, une aptitude que seuls des utopistes ont remise
en cause. Certains auteurs n'y voient qu'un prolongement de la propriété,
mais à tort car la propriété n'a aucune dimension familiale et définit seulement un espace de liberté. Au contraire la succession est, si j'ose dire, chargée
de famille : l'institution éventuelle d'une réserve en témoigne et même dans
un système de liberté testamentaire absolue, il n'y a guère qu'un nombre
marginal d'atrabilaires pour déshériter en totalité leurs proches parents. Or
la succession influe sur la structuration même de la société, ce pourquoi elle
Il me remercia en souriant et comme j'enchaînais sur le droit romain, sa maïeutique me
fit comprendre un aspect de celui-ci qui m'était toujours resté obscur : c'était vraiment un
grand professeur.
6. Voir J.-Ph. Lévy et A. Castaldo, Histoire du droit civil, Paris, Dalloz, 1re éd., 2002,
n° 1012 et n° 1017.

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