Contextes - Penser l'ancien droit privé - 82

POINTS DE VUE « PRIVATISTES »

de volonté (conventio) entre les parties. Le contrat était simplement,
conformément à son étymologie, la contraction (con-trahere : le fait de tirer
ensemble, comme un bras que l'on fléchit) - la réunion, donc - des actes
des parties dans un négoce juridique constituant un lien de droit (vinculum
juris) entre elles : contractus emptionis venditionisque (union de l'achat et de
la vente), contractus societatis A et B (union de la communauté de A et de
B), etc. Certes, l'accord de volonté était déjà typique de ce genre de transactions, mais typique ne veut pas dire nécessaire : il était donc possible pour
une institution d'être un contrat sans consensus ad idem entre les parties.
C'est ainsi que le Digeste, citant Paul et Ulpien, décrit à plusieurs reprises
la gestion d'affaires (negotiorum gestio) ou la tutelle (tutela) comme des
« contractus »3. Dans les Institutes de Justinien, à l'inverse, on les retrouve
consignés dans une catégorie quasi- (c'est-à-dire péri-) contractuelle : signe
de la finalisation d'une évolution par laquelle l'élément typique est devenu
nécessaire, le contractus acquérant le sens moderne de conventio, ce qui eut
mécaniquement l'effet de rejeter les contractus (au sens ancien de négoce
juridique) sans conventio dans une catégorie non-contractuelle4.
Nous voyons là un exemple typique d'anachronisme à l'œuvre : approcher le contractus romain en supposant que, parce que nous utilisons le
même mot (francisé, anglicisé, italianisé, etc.), et que le concept qu'il
recouvre est issu en droite ligne du droit romain - ce qui est impossible
à nier -, leur sens doit être le même. Étant donné que les indices textuels
sont tout à fait opposés à cette vue, comme nous l'avons esquissé, il est
probable qu'elle soit due avant tout à une paresse de l'esprit. Exemple
parfait, donc, du danger précité, qui est, si ce n'est par définition, du moins
typiquement, involontaire : un anachronisme volontaire est si peu habituel
que nous nous sentirions obligés, soit d'employer un autre mot, soit de
spécifier la chose explicitement : un « anachronisme volontaire ». Le fait que
le glissement soit inconscient le rend, bien sûr, d'autant plus pernicieux.
Question plus difficile : comment sait-on que le sens d'un concept
change ? Par construction, nous ne sommes plus là pour savoir ce que nos
ancêtres entendaient lorsqu'ils employaient tel ou tel mot (en se rappelant
que les mots ont rarement un sens unique : les lignes que nous essayons de
tracer et de comparer étaient sans doute mouvantes dès le début ; mais il
nous faut vivre avec cette difficulté, en évitant la tentation du relativisme
qui nous mènerait à croire à l'incommunicabilité, position que notre expérience réfute jour après jour). Se tourner vers le dictionnaire - par exemple
l'Oxford Latin Dictionary pour les concepts de droit romain - ne ferait que
3. Paul D. 3, 5, 15 (16), Ulpien D. 13, 5, 1, 6, Paul D. 44, 7, 49, Ulpien D. 50, 17, 23.
4. Voir, de manière générale, E. Descheemaeker, The Division of Wrongs. A Historical
Comparative Study, Oxford, Oxford University Press, 2009, p. 64 sq.

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