Bibliothèque de droit privé - Tome 578 - Le pouvoir discrétionnaire du juge et l'inexécution du contrat - 12

XII

LE POUVOIR DISCRÉTIONNAIRE DU JUGE ET L'INEXÉCUTION DU CONTRAT

désigner les pouvoirs de leur juge civil : « pouvoir souverain d'appréciation »,
« pouvoir d'appréciation », « faculté », « pouvoir modérateur », « pouvoir discrétionnaire », « pouvoir arbitraire ». En droit européen et international, le
concept de pouvoir discrétionnaire est généralement retenu pour désigner l'étendue des pouvoirs du juge, et en débattre. Si la notion se retrouve en droit français
(pouvoir discrétionnaire du juge) et en droit allemand (richterliches Ermessen),
sa signification diffère dans les deux systèmes juridiques, ce qui entraîne bon
nombre de malentendus. C'est précisément pour dissiper ces malentendus et pour
donner au lecteur l'instrument de mesure le plus fiable possible des pouvoirs du
juge que Carine Signat s'est engagée dans une analyse approfondie et riche de la
notion de pouvoir discrétionnaire du juge. La notion, qui compte parmi les plus
difficiles de la théorie du droit, est politique, dans la mesure où elle ne renvoie
pas seulement aux relations entre le juge et les parties au contrat mais aussi et
surtout aux rapports entretenus entre le juge et la loi, autrement dit à la place du
juge dans un système juridique donné et, par-delà, dans une société.
La première partie de l'ouvrage, dédiée à la notion de pouvoir discrétionnaire
du juge, présente un haut degré d'abstraction. Elle procède à un examen des pouvoirs du juge, détaché de ses applications dans le domaine de l'inexécution contractuelle. Cet examen, mené avec toute la rigueur scientifique qui s'impose, révèle
l'ampleur des différences relatives à la notion de pouvoir discrétionnaire du juge
dans les droits français et allemand. Le système français adopte une approche
procédurale de la notion : le pouvoir discrétionnaire recouvre les (rares) hypothèses
où le juge du fond est dispensé de motiver sa décision. Le droit allemand, quant à
lui, adopte une approche conceptuelle et méthodologique de la notion : le pouvoir
discrétionnaire y est défini comme la faculté conférée au juge par la loi de choisir
librement entre plusieurs conséquences juridiques selon des considérations d'opportunité. Carine Signat explique alors sa préférence pour cette définition conceptuelle de la notion qui prévaut également au niveau international et européen. Au
fil des pages, on saisit à quel point l'idée que l'on se fait de l'étendue des pouvoirs
accordés au juge dans un système juridique donné est largement façonnée par la
définition retenue de cette notion de pouvoir discrétionnaire. En effet, dans la
gradation du pouvoir, le pouvoir discrétionnaire constitue sans nul doute la forme
la plus libre du pouvoir exercé par le juge, si l'on excepte le pouvoir arbitraire,
illégitime, dans la mesure où il ne repose pas sur un fondement légal.
Une fois admis que le pouvoir discrétionnaire du juge désigne la faculté accordée
au juge de prendre une mesure ou de choisir entre plusieurs mesures différentes, s'opposant ainsi au pouvoir dit lié du juge, les difficultés ne sont pas résolues. En effet, les
doctrines française et allemande cultivent des conceptions fort différentes de la nature
des pouvoirs du juge dans un cas donné, ainsi que le révèle l'auteur à travers ses
développements sur les notions légales à contenu indéterminé ou standard. La technique des clauses générales et notions juridiques indéterminées ou standards constitue
un trait marquant de la législation civile contemporaine et, à plus forte raison encore,
des instruments européens d'harmonisation du droit des contrats. Il n'est qu'à songer
à la notion du « coût manifestement déraisonnable » qui vient limiter le droit du
créancier à l'exécution forcée en nature ou encore à celle d'« inexécution essentielle »
qui conditionne la résolution du contrat pour inexécution. Ces notions souples
confèrent indéniablement des pouvoirs accrus au juge dans l'application du droit,
mais de quelle nature ? On pressent bien l'importance politique de la question, au
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