Bibliothèque de droit public - Tome 300 - Nationaux et étrangers en droit public français - 241

UNE SOUMISSION INÉGALE AU POUVOIR DE CONTRAINTE DE L'ÉTAT

223

Sortant de son champ, la circulaire sert parfois de véhicule non plus seulement à l'interprétation du droit auquel elle est soumise mais aussi à une doctrine
administrative presque autonome. Le droit des étrangers n'étant pas toujours
cohérent, il semble que ce soit finalement l'intention plus politique manifestée par
les circulaires qui dirige l'activité des agents administratifs, ce qui pose alors la
question de savoir si les circulaires ne sont pas issues d'un pouvoir usurpé de leurs
auteurs qui ajouteraient à la loi et au règlement alors même qu'ils n'en ont pas la
compétence. Par principe, la circulaire ne doit être qu'une consigne qui, sur le
fond, ne diffère pas d'un ordre verbal qu'elle a l'avantage de formaliser.
314. La réalité normative de la circulaire purement interprétative, est souvent niée par la doctrine administrativiste. Il est ainsi courant de dénier aux circulaires purement interprétatives, donc par principe non impératives et purement
explicatives de l'état du droit, toute portée normative à l'égard de l'administré76.
Cette position est confirmée par la jurisprudence constante du Conseil d'État
qui a longtemps exclu tout recours pour excès de pouvoir à leur encontre77 et ce
malgré la loi du 17 juillet 1978 portant obligation de publication des circulaires78 et
le décret de 2008 portant obligation de mise en ligne des circulaires sur le site du
Premier ministre79. Cette tendance à minimiser l'importance actuelle du phénomène des circulaires dans l'action administrative comporte pourtant des dangers.
En effet, la circulaire correspond à « l'émergence d'un pouvoir d'interprétation dans la vie administrative et elle inaugure un espace nouveau entre le pouvoir
de réglementation générale - le pouvoir réglementaire et le pouvoir hiérarchique
classique - et le pouvoir d'instruction individuelle en coordonnant l'action des
subordonnés hiérarchiques, sans la contrainte, afin de privilégier l'uniformité et
la cohérence à tous les stades de la décision administrative »80. Les circulaires sont
donc perçues comme des filtres nécessaires entre la loi ou le règlement et leur
application, assurant aux administrés une égale application de la loi.
Dans un tel cadre, l'interprétation administrative s'impose à l'administré qui
sera davantage confronté à la réactualisation du texte par l'administration qu'au
texte lui-même. L'interprétation donnée par l'administration est d'autant plus
créatrice de droit pour les administrés qu'elle peut changer à tout moment et être
donc source d'instabilité. Celle-ci est par ailleurs renforcée par une interprétation
souvent différenciée de la circulaire elle-même au sein de chaque service, créant
76. Nous citerons ainsi : m. hecquart-theron, « De la mesure d'ordre intérieur », AJDA, 1981,
p. 237 qui écrit « ainsi la circulaire interprétative, en se bornant à interpréter le droit antérieur ne crée
aucune règle juridique nouvelle à l'égard des tiers et ne modifie nullement un quelconque ordre
intérieur » ; ou encore, plus récemment : c. chauvet, Le pouvoir hiérarchique, LGDJ, 2013 p. 671 : « la
circulaire interprétative se borne à arrêter une position sur le sens de l'ordonnancement juridique mais
sans pouvoir le modifier ».
77. Telle est la position de l'arrêt de principe CE  Sect.  18  déc. 2002, Mme Duvignères, req.
n° 233618, Rec. p. 463, concl. p. fombeur ; AJDA 2003, p. 487, chron. donnat et casas ; RFDA 2003,
p. 280, concl. et p. 510, note j. petit ; JCP A 2003, n° 1064, note j. moreau ; LPA 23 juin 2003, p. 19,
note p. combeau ; confirmé par CE, 26 déc. 2012, req. n° 358226, Rec. 2013.
78. Article 7 de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d'amélioration des
relations entre l'administration et le public et diverses dispositions d'ordre administratif, social et
fiscal, JO du 18 juill. 1978, p. 2851.
79. Décret n° 2008-1281 du 8 décembre 2008 relatif aux conditions de publication des instructions
et circulaires, JO n° 0287 du 10 déc. 2008 p. 18777.
80. p.  combeau, « Un oubli dans la réforme  : l'invocabilité des circulaires et instructions
administratives », AJDA, 2000, p. 495.
Table des matières de la publication Bibliothèque de droit public - Tome 300 - Nationaux et étrangers en droit public français
