Systèmes - La conduite du changement climatique : entre contraintes et incitations - 1re - 14

La conduite du changement climatique

forcené et a même engendré une forme d'« interventionnisme »18.
Michel Foucault voit ainsi dans ce courant de pensée le cadre d'un
« biopouvoir », d'une « biopolitique »19, c'est-à-dire d'un pouvoir qui
« prend en charge, non plus les individus, afin de les assujettir par des
techniques disciplinaires, mais la population, afin de réguler ses
processus biologiques (natalité, mortalité, longévité, etc.) »20.
Ce courant de pensée, cherchant à rompre tout à la fois avec le
laisser-faire propre au libéralisme classique, mais également avec
les différentes formes de totalitarisme, propose ainsi de nouvelles
règles du jeu aux termes desquelles la norme juridique
contraignante, en raison de son caractère disciplinaire, est limitée
à sa plus stricte expression, tout en encourageant une « intervention
permanente de l'État »21, et plus généralement un « interventionnisme
social, permanent et multiforme »22.
C'est donc un interventionnisme se manifestant par une préférence
pour l'incitation au détriment de la contrainte, un interventionnisme
privilégiant normes juridiques incitatives (incitations fiscales et
financières...) articulées à des normes infra- ou extra-juridiques
(normes managériales, réprobation sociale, indicateurs, benchmark,
nudges, story telling...), tendant à gouverner les acteurs de manière
souple en les incitant à la meilleure conduite économique possible en
leur qualité d'« individu-entreprise »23, plutôt qu'une pléthore de règles
juridiques contraignantes et juridiquement sanctionnées.
Le philosophe Pierre Dardot et le sociologue Christian Laval ont à
cet égard relevé le caractère fondamentalement inter- et
transdisciplinaire du mode actuel de gouvernement des hommes et
des sociétés, tendant à inciter les sujets à se conduire selon le
modèle de l'entreprise et la norme générale de la concurrence24.
L'un des initiateurs de ce modèle, Friedrich Hayek, reçut justement
le prix Nobel d'économie en 1974 comme une récompense, entre
autres choses, de son analyse de l'interdépendance des phénomènes
économiques, sociaux et institutionnels. Si l'on se penche en effet sur
18. AUDIER S., Les paradigmes du « néolibéralisme », Cahiers philosophiques, 2013/2, nº 133,
p. 22.
19. FOUCAULT M., Naissance de la biopolitique, Cours au Collège de France. 1978-1979, op. cit.
20. SENNELART M., Michel Foucault : la critique de la Gesellschaftpolitik ordolibérale, op. cit., p. 42.
21. Ibid., p. 37.
22. FOUCAULT M., Naissance de la biopolitique, Cours au Collège de France. 1978-1979, op. cit.,
p. 165.
23. AUDIER S., Les paradigmes du « néolibéralisme », op. cit., p. 22.
24. DARDOT P., Laval Ch., La nouvelle raison du monde, Essai sur la société néolibérale, op. cit.

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