Contextes - La Grande Guerre et son droit - 153

DAVID DerouSSIN

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« tout commerce »55 avec les sujets des États ennemis et déclare nul comme
contraire à l'ordre public « tout acte ou contrat » passé en France ou dans un
protectorat français par toute personne ou conclu par un Français avec un
sujet d'un État ennemi en quelque lieu que ce soit56. Malgré les difficultés
qu'elles ont pu soulever, s'agissant notamment des actes passés pendant
l'été 1914 (on pense aux marchés par filière réalisés dans les bourses de
commerce, l'annulation de tels marchés reportant les risques sur le créateur
de la filière même s'il est français), ces prohibitions (ajoutées au fait que
le traité de Francfort du 10 mai 1871, qui habilitait les sociétés allemandes
à exercer et à ester en justice, est considéré comme ayant été dénoncé par le
fait même de la guerre) conduisent à développer la pratique des séquestres
des biens des sujets ennemis en France, dans les colonies et protectorats,
comme sanction de l'interdiction de commercer portée par le décret du
27 septembre 191457. La réglementation pénale constitue, d'autre part, le
second moyen. La loi du 20 avril 1916 en offre encore un exemple : son
article 10 frappe des peines édictées par l'article 419 du Code pénal ceux
qui, pendant l'application de la loi (trois ans), dans un but de spéculation illicite, i.-e. non justifiée par les besoins de leurs approvisionnements
ou par de « légitimes prévisions industrielles ou commerciales », auront
opéré (ou tenté d'opérer) « la hausse du prix des denrées ou marchandises au-dessus des cours qu'aurait déterminés la concurrence naturelle et
libre du commerce ». Complétée par la loi du 23 octobre 1919 en matière
de loyers (selon laquelle commet le délit de spéculation illicite celui qui
dans un but de spéculation illicite a opéré ou tenté d'opérer la hausse
du prix des loyers « au-delà des taux que représentent l'augmentation
des charges de la propriété bâtie et la concurrence naturelle et libre du
commerce »), elle est mise en œuvre non seulement à l'égard de véritables
accapareurs (orléans, 25 mars 1918 ; Poitiers, 7 juin 1918), mais aussi en
55. La doctrine précise qu'il ne faut pas entendre le terme commerce dans son sens strict
(A. Pillet, La guerre actuelle et le droit des gens, Paris, 1916, p. 40).
56. Il est ainsi porté atteinte à la règle locus regit actum. L'art. 6 de la loi du 4 avril 1915
ratifiant ce décret autorise le gouvernement, sous la condition d'obtenir rapidement l'accord
des chambres, à étendre cette nullité à d'autres contrats, conclus avec d'autres ressortissants
étrangers, les turcs notamment, malgré l'absence de déclaration officielle de guerre (compte
tenu des intérêts économiques français en Asie mineure, le sort des conventions conclues
avec des ressortissants turcs ne pouvait être aligné sur celui des actes conclus avec des
Allemands ou des Hongrois, d'autant plus que les ressortissants de l'empire ottoman, de
« nationalités » diverses, ne sont pas tous des ennemis de la France).
57. La loi du 22 janvier 1916 cherche à renforcer cette pratique, en prescrivant, sous
la menace de sanctions pénales, à tous les détenteurs de biens appartenant à des sujets de
puissances ennemies et à tous leurs débiteurs d'en faire la déclaration au parquet. Comme
loi de police, elle oblige tous ceux qui habitent le territoire, y compris les étrangers. De son
côté, la jurisprudence précise que l'ennemi est privé de la libre disposition et de l'usage de
ses biens (Cass. civ., 3 mars 1920, Pand. périodiques, 1920, p. 261).
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