Hors collection - Les enjeux de la déjudiciarisation - 56

50

RôLe et INtÉRêt De La DÉJuDICIaRISatIoN

77. L'une des raisons d'être du juge est de donner de l'effectivité au droit.
Par conséquent, si l'activité du juge, tenu « de servir le droit »81, en permet
un meilleur respect, il apparaît comme fondé à agir ainsi82. or, les fonctions
nouvellement promues du juge - du moins celles du JaF - ont, sinon pour
effet acquis au moins pour objectif affiché, de permettre un meilleur respect
des solutions retenues, et partant, un meilleur respect de la loi. Même une
vision purement économique de la justice commande une bonne exécution
des décisions. optimiser les chances de succès d'une décision, c'est, dans
l'intérêt de tous, optimiser le coût de fonctionnement du service public
de la justice. Dans ces conditions, en quoi recentrer l'office du juge sur le
litige est « préférable pour une meilleure administration de la justice »83 ?
La théorie du recentrage, simple effet de la déjudiciarisation ou véritable
projet politique, est d'autant moins convaincante qu'un certain nombre de
conséquences pour le moins fâcheuses s'y attachent.
78. Risque de négation de la matière gracieuse. Réduire le juge à une
simple instance de résolution des litiges risque de conduire à une négation
de l'existence même de la matière gracieuse84. en suivant cette logique, le
prononcé de l'adoption, l'émancipation du mineur ou l'habilitation d'un
époux à représenter son conjoint, pourrait finir par être confié à un autre
que le juge. et là n'est pas la seule conséquence.
79. Valoriser le juge et la justice ou acter leur désacralisation ? La
déjudiciarisation peut sembler acter les limites de la justice. N'est-ce pas
ce qui résulte de l'idée selon laquelle, « l'aléa de la décision judiciaire et sa
longueur » obligent à des alternatives85 ? L'aveu d'impuissance, s'il n'est pas
clairement exprimé, n'est guère dissimulé86 et il est permis de se demander
en quoi cela donne du crédit à la justice. De son côté, de moins en moins
capable de sacraliser ce qu'il touche, de le sanctuariser, le juge peut sembler
cesser d'être un noble personnage de la loi, une honorable figure de la
81. J.-L. Bergel, « Introduction générale », in L'office du juge, Les colloques du Sénat,
colloque des 29 et 30 sept. 2006, p. 12, spéc. p. 14.
82. approche parfaitement conforme à la notion de légitimité, v. B. Mercadal, « La légitimité du juge », RID comp., 2002, p. 277.
83. J. Vayr, « Le notaire qui est le conseil des familles, mais aussi l'homme du contrat,
est tout à fait prêt à se positionner dans cette déjudiciarisation », LPA, 7 sept. 2017, p. 11,
spéc. p. 12.
84. M. Saulier, « Libres propos sur la multiplication des autorités en droit de la famille »,
préc., spéc. § 8 ; v. S. amrani Mekki, « La déjudiciarisation », préc., spéc. § 42.
85. J. Gautier, « Du développement inexorable de la déjudiciarisation après la loi "J21" :
entre outil moderne de rationalisation de l'office du juge et régression du droit », préc.
86. Dans le même sens, exposé des motifs, Projet de loi de programmation 2018-2022 et de
réforme pour la justice, précité dans lequel il est permis de lire que la rédaction de l'acte de
notoriété constatant la possession d'état, actuellement confiée au juge, devrait être confiée
au notaire « dans un souci de traitement plus rapide des demandes ».
Hors collection - Les enjeux de la déjudiciarisation

Table des matières de la publication Hors collection - Les enjeux de la déjudiciarisation
