Manuel - Droit de la bioéthique - 2e - 18

DROIT DE LA BIOÉTHIQUE
bioéthique tend donc vers sa consécration juridique. Un bref aperçu historique
de son émergence permettra de s'en convaincre.
7. De l'éthique médicale à la bioéthique. − En raison de son objet,
la bioéthique est souvent liée à l'éthique médicale. Elle serait, au moins
pour partie, une actualisation du serment d'Hippocrate à l'ère biomédicale.
Les choses sont en réalité plus complexes et nécessitent, pour être
bien comprises d'identifier les jalons de l'histoire ayant conduit à l'émergence
de la bioéthique telle que Potter la définit. Nous pourrons ainsi saisir
que là où l'éthique médicale est destinée à poser des limites au pouvoir
exercé par la médecine, la bioéthique tend, à l'opposé, à libérer la médecine
de certaines de ces limites. La construction de ce système normatif
ne peut alors être comprise qu'en rapprochant, au travers de l'histoire,
deux évènements très éloignés. Le premier événement est l'écriture du
serment d'Hippocrate qui va durablement structurer l'éthique médicale,
que l'on nomme aussi déontologie médicale. Le second événement est
le procès des médecins nazis à l'issue de la Seconde Guerre mondiale
qui a révélé les limites de l'éthique hippocratique et rendu nécessaire l'affirmation
de nouveaux principes pour régir les recherches médicales.
8. Le serment d'Hippocrate. − S'il est important de débuter notre
histoire avec l'évocation du serment d'Hippocrate, c'est en raison de sa
signification profonde. C'est en effet parce que les médecins grecs ont
pris conscience du pouvoir qu'ils pouvaient exercer sur les patients et de
la nécessité de cantonner leur puissance qu'ils ont entendu affirmer
l'existence de leurs devoirs. L'école qui a exercé l'influence la plus
durable est sans conteste celle d'Hippocrate de Cos. Médecin appartenant
à la race des Asclépiades, les descendants du dieu Asclépios32
, sa pensée
constitue une véritable rupture avec les conceptions de la maladie et du
médecin qui prévalaient auparavant. En effet, alors que ses pères enseignaient
que les maladies avaient une origine divine et que le ministère du
médecin s'inscrivait nécessairement dans une pratique de type religieux,
Hippocrate entend désacraliser la pratique médicale et trouver des causes
physiologiques et rationnelles aux dysfonctionnements induits par la
maladie. Dans le contexte du Ve
siècle avant J.-C. et de la petite île de
Cos où il s'est établi, cette conception est une véritable révolution, équivalente
pour le corps à celle que la philosophie socratique a constitué
pour le soin de l'âme33
. Toutefois, plus que sa vision des causes de la
maladie, c'est la conception hippocratique des devoirs du médecin qui a
permis d'inscrire le nom du médecin de Cos à la postérité. Le célèbre serment,
probablement écrit après la mort du maître, a surmonté l'épreuve
du temps et demeure, aujourd'hui encore, la référence symbolique essentielle
des devoirs du médecin, même s'il a été progressivement remplacé,
à partir de la fin du XVIII
e siècle, par une version plus moderne, prononcée
32. Esculape en latin, le Serment y fait une référence explicite puisque c'est notamment devant cette divinité
que le médecin prête serment.
33. J.-F. MATTÉI, « La révolution antique : d'Alcméon à Galien », in D. FOLSCHEID,B. FEUILLET-LE-MINTIER et
J.-F. MATTÉI, Philosophie, éthique et droit de la médecine, PUF, Thémis, 1997, p. 101-110, spéc. p. 104.
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