Manuel - Droit de la bioéthique - 2e - 81

La spécificité de l'élaboration des lois de bioéthique
Section 2
Desloisécrites d'une main tremblante
117. Méthode et effets. − Les doutes du législateur quant à sa légitimité
et à la pertinence de ses choix l'ont conduit à écrire les lois de bioéthique
d'une main tremblante, en retenant une méthode affectée d'un caractère
provisoire (§ 1). Cette méthode, présentée comme une manifestation de
sagesse, ne produit cependant pas exactement les effets souhaités (§ 2).
§1. Le choix de la méthode expérimentale
118. Constitution. − Prévue par l'article 37-1 de la Constitution du
4 octobre 195851
depuis la révision constitutionnelle du 28mars 200352
,la
méthode de la loi expérimentale, proposée en doctrine comme une méthode
scientifique de légiférer (A), fut inaugurée en matière de bioéthique (B) où
elle s'est rapidement imposée comme une évidence (C).
A. Une méthode scientifique de légiférer
119. Stabilité du droit vs évolutivité programmée. - Si l'on peut,
avec Ripert, affirmer la nécessité de la stabilité du droit, on doit tout
autant, avec Savatier53
, constater l'obligation pour le droit d'évoluer pour
prendre en compte les faits sociaux nouveaux et les soumettre à des
règles adaptées. Pour générale qu'elle soit, cette approche s'applique particulièrement
aux questions scientifiques54
.L'évolutivité des normes
.
encadrant les pratiques biomédicales n'est pas propre à la France55
120. Cruet. − La méthode de la législation expérimentale fut présentée
comme un remède à l'impuissance des lois face à la vie du droit, pour
reprendre le titre d'un l'ouvrage de Jean Cruet56
. Dans cet ouvrage publié
au début du XX siècle, l'auteur proposait une nouvelle méthode législative,
e
51. Constitution de la Ve
République, art. 37-1 : « La loi et le règlement peuvent comporter, pour un objet et
une durée limités, des dispositions à caractère expérimental. »
52. Loi constitutionnelle nº 2003-276, 28mars 2003, JO, 29mars, p. 5568, art. 3.
53. R. SAVATIER, Les métamorphoses économiques et sociales du droit civil d'aujourd'hui, Dalloz, 1948, p. 135 et s.
54. Très succinctement, Savatier déplorait le retard du droit sur la science et souhaitait que le droit se
mette au rythme de celle-ci, en s'adaptant. Cette conception irrita Ripert qui, dans Les forcescréatricesdu
droit, reprit et développa un thème abordé dans une œuvre antérieure (Le régime démocratique et le droit
civil moderne, LGDJ, 1936) : le statisme et le conservatisme du droit et des juristes. Face aux progrès de la
science, le premier avouait humblement un retard, le second déclarait fièrement un statisme nécessaire.
On ne saurait être en plus radicale opposition.
55. S.MALJEAN-DUBOIS, « Bioéthique et droit international », Annuaire français de droit international, vol. 46,
2000, pp. 82-110, spéc. p. 104.
56. J. CRUET, La vie du droit et l'impuissance des lois, Flammarion, « Bibliothèque de philosophie scientifique
», 1914, p. 2. Auparavant, l'expérimentation préalable de la loi fut défendue par Saleilles (in préf. à
F. GÉNY, Méthodes d'interprétation et sources en droit positif: essai critique, 1899, LGDJ, spéc. p. XXIII.
V. P. SARGOS,« L'interprétation du droit au risque de l'absurde », JCPG 2017, Libres propos, nº 922).
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