Hors collection - Contrats de droit privé et contrats de droit administratif - 183

FLORIAN POULET, LOUIS THIBIERGE

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Sur ce point, il semble exister, en tout cas dans l'imaginaire collectif,
l'idée selon laquelle le juge judiciaire serait le plus protecteur de la liberté
contractuelle et de la force obligatoire du contrat. Il protégerait davantage que le juge administratif l'intangibilité des actes contractuels. Cette
idée doit beaucoup à la célèbre affaire Canal de Craponne, aux termes de
laquelle la Cour de cassation a, le 6 mars 1876, solennellement affirmé, au
visa de l'article 1134 du Code civil2, « que, dans aucun cas, il n'appartient
aux tribunaux, quelque équitable que puisse leur paraître leur décision, de
prendre en considération le temps et les circonstances pour modifier les
conventions des parties et substituer des clauses nouvelles à celles qui ont
été librement acceptées par les contractants »3.
Mais l'idée selon laquelle le juge judiciaire serait plus protecteur de
l'intangibilité du contrat que le juge administratif trouve également racine
dans la nature même du contrat administratif qui, dans son essence même,
n'apparaît pas constituer un contrat comme les autres : servant l'intérêt
général et s'inscrivant, d'une façon ou d'une autre, dans la sphère du service
public, le contrat administratif n'est pas seulement la chose des parties,
mais relève également de la chose publique. De cette conception du contrat
administratif comme contrat dérogatoire au droit commun des contrats,
l'on aurait pu s'attendre à ce que les pouvoirs du juge administratif fussent
grands à son égard, le contrat administratif pouvant a priori être facilement
révisé au nom, précisément, des exigences de l'intérêt général et, le cas
échéant, du service public.
Or, il n'en est rien. En droit administratif, le juge se montre, ou en tout
cas donne à se montrer, particulièrement attentif à la liberté contractuelle
et respectueux de la force obligatoire du contrat. Ainsi, selon le Conseil
d'État, « le juge du contrat n'a pas le pouvoir de modifier les clauses de
celui-ci »4 ; « des conclusions qui tendent à faire décider par le juge administratif des modifications aux stipulations [d'un] contrat [administratif]
ne peuvent pas être accueillies »5 ; « le juge du contrat n'a pas le pouvoir
de modifier ce contrat »6.
On se souvient du tapage qu'avait suscité, en 2007, la motivation de
la décision Société Tropic Travaux Signalisation, à la faveur de laquelle
le Conseil d'État avait ouvert la possibilité, pour le juge du contrat saisi
2. Qui est alors présenté comme la simple « reproduction des anciens principes constamment suivis en matière d'obligations conventionnelles ».
3. Cass. civ., 6 mars 1876, De Galliffet c. Commune de Pélissanne, affaire dite Canal de
Craponne, Bull. 1876, no 25.
4. CE, 21 mai 1969, Entreprise Marc Varnier, n° 72174, Lebon, p. 261.
5. CE, 3 mai 1974, Sté concessionnaire du garage parking Saint-Honoré c. Ville de Paris,
n° 82319, Lebon, p. 262.
6. CE, 7 févr. 1986, Pottier et autres, n° 50761, Lebon T., p. 610 et 614.

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