Bibliothèque de droit privé - Tome 590 - La religion du contractant - 58

LA RELIGION DU CONTRACTANT

acquéreurs n'y virent aucun intérêt. L'association diocésaine, qui ne fut pas de cet
avis, prit acte de leur inertie et conclut avec un tiers une promesse de vente. Pour
y faire obstacle, les acquéreurs assignèrent les vendeurs aux fins de faire déclarer
la vente parfaite. L'association venderesse rétorqua que cette dernière ne s'était
jamais concrétisée puisque le contrat était assorti d'une condition suspensive qui
avait défailli. La Cour d'appel de Bastia accueillit néanmoins la demande. De son
point de vue, la clause faisant référence à « l'accomplissement de toutes les formalités auprès du Saint-Siège » était trop imprécise pour être une véritable condition.
Au cas où cela n'aurait pas suffi, elle refusa, comme elle y avait été invitée, d'examiner les pouvoirs de l'évêque au regard du droit canon. Un pourvoi fut formé,
sans grand succès56.
Les moyens invoqués au soutien de celui-ci s'avèrent, quoi qu'il en soit, fort intéressants. La requérante avait stigmatisé la violation, par le juge civil, de la liberté de
culte qui l'aurait pourtant obligé à vérifier si l'évêque avait, en vertu du droit canonique, la capacité et le pouvoir de vendre le bien cultuel objet du litige. Le canon 1292
du Code de droit canonique conditionne la vente des biens temporels de l'Église à
l'obtention d'un agrément du Saint-Siège, sitôt que leur valeur excède un certain
montant. Le pourvoi semblait par conséquent défendre la thèse d'un electio juris
implicite. Une telle éventualité ne paraît pas, sur le plan théorique, inenvisageable.
Tant le droit international privé57 que le droit interne se montrent favorables à un tel
choix de loi. Selon la Convention de Rome, notamment, l'electio juris peut « être
exprès ou résulter de façon certaines des dispositions du contrat ou des circonstances de
la cause58 ». De même, l'article 7§ 1 de la Convention de La Haye du 22 décembre 1986
stipule que « l'accord des parties sur ce choix doit être exprès ou résulter clairement des
termes du contrat et du comportement des parties, envisagés dans leur ensemble ». Ainsi,
selon certains auteurs, « pourra-t-on induire un choix implicite de la circonstance que
"le contrat est un contrat type régi par un système juridique particulier (...) par exemple,
une police d'assurance maritime de Lloyds" ou du fait "qu'un contrat antérieur entre les
parties ait contenu un choix exprès de la loi ou encore "des références faites dans un
contrat à des articles déterminés du Code civil" d'un pays donné59 ». De la même façon,
en droit interne, les auteurs relèvent que le juge reconnaît volontiers la soumission
implicite des parties à une loi, en relevant certains indices60.
En l'espèce, le caractère cultuel du bien objet du contrat, ainsi que la clause
litigieuse, semblaient constituer des indices démontrant, pour la demanderesse,
un choix de loi. Dans l'esprit des représentants de la requérante, la liberté de culte
commandait l'effacement partiel du droit étatique au profit du droit canon ou, du
moins, quelques adaptations. Or, alors que ces choix de loi implicites sont fréquemment admis par la jurisprudence, la Cour de cassation s'y montra ici défavorable : « Monseigneur Llosa étant intervenu à l'acte de 1957 comme évêque d'Ajaccio et président de l'Association diocésaine, qualités qui n'ont pas été contestées, la
56. Cass. 3e civ., 11 mars 1992, n° 90-13522.
57. M. Giuliano et P. Lagarde, Rapport concernant la Convention sur la loi applicable aux
obligations contractuelles, JOCE, n° C 282, 31 octobre 1980, p. 1 et s. M.-L. Niboyet, J.-Cl. Civil Code,
Contrats internationaux - Détermination du droit applicable - Le principe d'autonomie (sa
signification), 2e App. Art. 1134 et 1135, Fasc. 20, 2001, n ° 65, n° 46.
58. Conv. Rome, 19 juin 1980, sur la loi applicable aux obligations contractuelles, art. 3.
59. M. Giuliano et P. Lagarde, Rapport concernant la Convention sur la loi applicable aux
obligations contractuelles, préc.
60. J.-B. Seube, « L'electio juris ou la soumission volontaire des parties à un droit protecteur »,
art. préc.

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