Bibliothèque de droit social - Tome 75 - Le système de retraite à l'épreuve de son financement - 94

LE SYSTÈME DE RETRAITE À L'ÉPREUVE DE SON FINANCEMENT

qui résiste le plus à ce mouvement de fiscalisation, force est de constater que la
part des cotisations dans le financement des pensions tend à diminuer77.
B. LA PARTICIPATION OBLIGATOIRE DES « INTÉRESSÉS »
237. Tous les travailleurs doivent obligatoirement être affiliés à un régime de
retraite et y cotiser. L'obligation de cotiser est un principe financier central en
droit de la Sécurité sociale. Bien qu'il soit régulièrement dénoncé, il n'en demeure
pas moins qu'il s'agit d'une condition indispensable pour assurer la meilleure protection possible des personnes âgées (1). Mais les travailleurs ne sont pas les seuls
à devoir cotiser. En réalité, le financement de l'assurance « vieillesse » s'effectue
au moyen d'une cotisation partagée entre les employeurs et les salariés. Si le partage des cotisations est régulièrement dénoncé par les économistes, il n'en demeure
pas moins qu'il conserve une grande importance politique et juridique (2).
1. Le caractère controversé de l'obligation
238. L'obligation qui est faite à chaque travailleur de s'affilier à un régime
de retraite et d'y cotiser n'émeut plus personne aujourd'hui. Pourtant, cette
question du caractère obligatoire ou facultatif des contributions est celle qui a
probablement le plus divisé les parlementaires au début du XXe siècle. Elle a
cristallisé l'essentiel des débats durant de nombreuses années, retardant d'autant l'adoption de la première loi d'assurance « vieillesse » en France78. Les
arguments, dans un camp comme dans l'autre, ne manquaient pas. Sans chercher à les reprendre de manière exhaustive, il est intéressant d'évoquer les principaux positionnements doctrinaux.
239. Chez les opposants à l'obligation, trois principaux éléments ont pu être
avancés. Premièrement, une partie des députés a eu tendance, dans un excès d'orgueil,
à rejeter un modèle jugé trop proche du modèle allemand. En effet, la défaite militaire
de la France à Sedan était encore présente dans les esprits au moment des débats
relatifs à la mise en place d'une assurance sociale capable de prendre en charge le
risque « vieillesse ». Le député Émile Rey a résumé le sentiment d'une partie de la
classe politique en expliquant qu'il ne voulait pas ajouter à la défaite militaire une
défaite sociale, liée selon lui au fait de transposer en droit interne une loi allemande. Il
considérait que la France pouvait s'inspirer des assurances « bismarckiennes », mais
qu'il fallait les adapter, en particulier en rejetant le caractère obligatoire des cotisations. Pour donner du poids à son argumentation et pour que celle-ci n'apparaisse pas
comme une volonté de prendre purement et simplement le contre-pied de la loi allemande, le député Rey rappelait que la plupart des pays européens qui ont mis en place
des assurances sociales à l'époque, ne les ont pas rendues obligatoires79. Cet argument
tentatives de fiscalisation des années 1950 et 1960, cf. l'analyse de Bernard Friot, Puissances du
salariat, Paris : La Dispute, 2012, p. 192-199), ces arguments trouvent un écho favorable auprès des
pouvoirs publics depuis le début des années 1990.
77. Cf. Partie 2 - Titre 1.
78. En comparaison avec les autres pays européens, la France a adopté sa première loi d'assurance
« vieillesse » assez tardivement. Cf. introduction.
79. « La commission d'assurance et de prévoyance sociales, depuis trois législatures consécutives,
s'est laissée en quelque sorte hypnotiser par le système allemand ; elle n'a voulu rien voir de bon en
dehors de ce système. L'obligation de l'assurance, caractérisée surtout par l'obligation de la
contribution ouvrière lui est apparue comme un dogme intangible devant lequel il faut s'incliner avec
respect et hors duquel il n'y a pas de salut. Il est cependant assez étrange que ce système n'ait été

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