Bibliothèque de droit social - Tome 76 - L'évaluation professionnelle des salariés - 54

L'ÉVALUATION PROFESSIONNELLE DES SALARIÉS

dans sa réalisation, autrement dit en fonction de son achèvement. Derrière la
notion de compétence apparaît par conséquent la figure de la performance. Alors
que la qualification renverrait à une exigence de respect des règles du métier, la
compétence fixerait, elle, une obligation de résultat et introduirait par conséquent
une nouvelle responsabilité à la charge du salarié63.
Ce glissement vers une évaluation des compétences, en raison de la montée
du réalisme professionnel, focalise par ailleurs la faculté d'évaluer les compétences
sur l'entreprise. Ce report de la responsabilité d'évaluer sur l'entreprise tranche
avec les qualifications abstraites pouvant être déterminées par un jugement extérieur à l'entreprise tel que le diplôme.
54. Aujourd'hui, l'essoufflement du modèle par la compétence est parfois
avancé. Après un détour par la notion de potentiel64, et dans une discipline en
perpétuel renouvellement, se dessinerait aujourd'hui la montée d'un nouveau
standard de référence : le talent65. Cette nouvelle terminologie n'est pas sans rappeler celle de la Déclaration des droits de l'homme de 1789. Un auteur en propose
une relecture en y voyant non pas un critère qui pourrait être utilisé pour tout
travailleur dans toute organisation, mais un concept qui s'intéresse aux individus
et aux organisations dans ce qu'ils ont de singulier, voire d'inimitable66. Il s'agit
non pas de définir le travailleur par ce qu'il sait faire mais par ce qu'il sait faire
« mieux que les autres », de le définir par son « excellence individuelle dans une
activité donnée »67. Parfois réduit à une logique de performance68, ce modèle est
susceptible de renforcer le repli de l'appréciation sur les individus dans un contexte
concurrentiel. Le talent semble ainsi reposer sur un postulat un peu différent de
celui des compétences ou de la qualification. Il est cultivé dans une certaine individualité. Il s'agit d'une forme d'« identité professionnelle »69. Cette référence au
talent permettrait de surcroît de comprendre la difficulté de l'organisation à remplacer les salariés puisqu'à l'inverse de la compétence, le talent ne permet pas la
permutabilité des salariés. Plus qu'une substitution d'un modèle par le suivant,
l'auteur propose en réalité de distinguer, avec l'exemple du secteur bancaire, trois
modèles de management coexistant. Le premier peut être qualifié de néo-taylorien70 et repose sur la qualification. Le deuxième concerne les activités touchées
par les évolutions technologiques et repose sur les compétences. Le dernier est en
63. Cf. not. N. Chaignot, La servitude volontaire aujourd'hui - Esclavages et modernité, PUF,
coll. « Partage du savoir », 2012, p. 195. L'auteur considère en effet que « si la compétence confère une
autonomie (prescrite) à l'individu, elle implique un accroissement du principe de responsabilité ».
64. Le potentiel pourrait être défini comme « un ensemble de ressources latentes, incluant des
compétences non actualisées dans l'emploi, mais aussi l'aptitude à en acquérir de nouvelles ».
Autrement dit, il s'agirait peu ou prou d'« une sorte de capacité générale d'apprentissage ».
P. Mirallès, « La gestion des talents : émergence d'un nouveau modèle de management ? »,
Management & Avenir, 2007/1 n° 11, p. 29.
65. Ibid.
66. Ibid., spéc. p. 35.
67. Ibid.
68. P.-E. Berthier, « Les qualités attendues du salarié, entre droit du travail et management »,
SSL 2013, suppl. n° 1576, p. 106.
69. P. Mirallès, art. cit., spéc. p. 35. L'auteur avance ainsi que ces qualités individuelles
« combinent notamment des aptitudes innées, des compétences spécialisées (des « gestes
professionnels » par exemple) ou génériques, mais aussi des attitudes (notamment la « volonté de
réussir » ou la résilience) et des croyances ». Le travailleur disposant d'un talent sait organiser son
travail en fonction de ce qu'il fait mieux que les autres (p. 36).
70. Tel que les centres d'appel.

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