Cours - Droit pénal des affaires - 3e - 258

DROIT PÉNAL DES AFFAIRES
qui soit comparable aux statistiques du crime de rue. Mais Sutherland, à partir d'une collection
d'exemples, suggère que la violation de normes pénales est très répandue dans ces milieux. Ainsi,
en analysant le milieu ferroviaire, le milieu médical, la politique, la finance ou encore l'industrie
agroalimentaire, il trouve de nombreuses raisons de penser que la délinquance y est particulièrement
répandue.
Le coût social de ces violations, à la fois en terme financier, mais aussi en termes de perte de
confiance, est impossible à estimer, mais doit sans doute, suggère Sutherland à partir de l'analyse
de quelques exemples et de ses connaissances du monde des voleurs professionnels, être plus
élevé que celui du crime de rue. Ainsi, Sutherland prend l'exemple d'un grand magasin et compare
le coût de l'ensemble desvolssubis à celui d'une seule fraude comptable. De manière générale, les
sommes obtenues par les fraudes diverses que permettent certaines professions appartiennent à
un ordre de grandeur supérieur aux sommes potentiellement détournées par les voleurs.
Sutherland définit alors deux grands types de crimes en col blanc : la mal représentation (faux,
violation des normes comptables, fraude fiscale) et la duplicité (délit d'initié, corruption).
La «mal représentation » est proche des cas, plus conventionnels, de fraude. Il s'agit de mentir, par
action ou par omission, de façon plus ou moins élaborée, sur des informations relatives à des
biens, des personnes ou des activités, de manière à les surévaluer ou à les sous-évaluer. La fin
de la mal représentation est l'enrichissement personnel, soit en obtenant − par cette mal-représentation
− des fonds ou des services indus, soit en parvenant à éviter de payer des sommes dues ou
d'effectuer un travail dû.
Àl'inverse, ce que Sutherland appelle la « duplicité » correspond à des situations propres au monde
du col blanc. Un agent fait preuve de duplicité lorsqu'il est dans une situation de conflit entre des
intérêts importants et qu'il favorise secrètement un de ces intérêts. Par exemple, un décideur politiquequi
a ledevoir d'attribuer un marché public se voit confier la responsabilité de sommes
d'argent très importantes : alors que cet argent lui est confié dans l'intérêt général, son intérêt
personnel peut entrer en conflit avec cette mission. Les conflits d'intérêts peuvent être plus
complexes que cela, un agent pouvant avoir un devoir vis-à-vis du public, d'une personne privée,
d'une société, des actionnaires, des clients, de sa hiérarchie, de sa déontologie professionnelle, etc.
Dans les années qui suivront, Sutherland tentera un premier tour d'horizon des données disponibles
au sujet des violations commises par les 70 plus grandes entreprises américaines, avec pour
objectif de commencer à construire une banque de données du crime en col blanc permettant de
procéder à des études quantitatives comparables à celles dont on dispose pour le crime de rue.
Son travail d'archives lui permet d'obtenir 547 décisions de justice sanctionnant une violation du
droit de la concurrence, de la publicité, du travail ou de la propriété intellectuelle dans au moins
une de ces 70 entreprises, avec en moyenne 7,8 décisions par entreprise, aucune entreprise
n'étant épargnée. Cette recherche sera publiée dans un ouvrage désormais classique, intitulé Le
crime en col blanc (White-collar crime, 1949) qui sera d'ailleurs lourdement caviardé par l'éditeur
- plusieurs personnes nommées dans le manuscrit initial ayant menacées de poursuivre la
maison d'édition pour diffamation. La version intégrale de White-collar crime paraîtra vingt-cinq
ans plus tard.
II. Les recherches actuelles
Depuis 1949, le crime en col blanc a donné lieu à des recherches relativement modestes dans les
pays francophones comme le regrettent d'ailleurs les éditeurs de la revue « Champ pénal » dans un
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