Précis Domat - Droit comparé - 1re - 67

LA CONSTRUCTION DE RAPPORTS DE RESSEMBLANCES ET DE DIFFÉRENCES
raisonnable, la légitimité ou l'intérêt, étant précisé que les faits peuvent être appréhendés
de façon différente d'un endroit à l'autre35
proche pluridisciplinaire à laquelle conduit la conception réaliste dans une stricte
perspective de droit interne s'impose afortiori dans une perspective comparative36
B. LA RELATIVITÉ DES CONCEPTIONS
67 Ethnocentrisme. - À supposer qu'une conception du droit corresponde assez
fidèlement aux données internes à partir desquelles elle a été élaborée et adoptée,
il faut veiller à ne pas la projeter aveuglément sur tous les objets étrangers observés.
Le comparatiste ne doit pas se laisser enfermer par sa propre conception du droit.
Le risque, si l'on n'y prend garde, est soit de qualifier de juridique une forme de
normativité qui n'est pas considérée comme telle dans le système observé, soit au
contraire de nier l'existence de droit au seul motif que ce qui en relève dans le
système observé ne correspond pas à la conception que s'en fait l'observateur.
Dans ce dernier cas, le « manque » ou l' « absence » de droit signalé par l'observateur
trahit davantage le caractère ethnocentrique de sa vision du droit qu'elle ne
décrit la réalité de l'objet examiné, ce qui - cela va sans dire - fausse les résultats
de l'étude.
L'ethnocentrisme, c'est-à-dire la tendance à ériger en modèle de référence le
groupe social et la culture auxquels on appartient, est une attitude qui, en matière
juridique, peut conduire les juristes à déconsidérer les droits des autres sociétés.
Ainsi s'explique, par exemple, que des juristes européens, nourris de l'héritage du
droit romain et de la philosophie des Lumières, aient jadis pu considérer, à propos
des droits dits traditionnels, que l'oralité est « synonyme de contingence et d'arbitraire
» ou, autre exemple, que la pluralité des ordres juridiques est « un désordre et
une injustice par rapport [aux] idéologies unitariste et égalitariste républicaines »37
.
Plus généralement, le juriste occidental piégé par l'ethnocentrisme conçoit mal
qu'il puisse exister du droit sans l'État ou, à tout le moins, sans une forme de pouvoir
institutionnalisé et centralisé (quel qu'en soit le nom) capable de faire respecter
des règles de conduite et de sanctionner leur violation38
.
68 Exemples. - Les affirmations niant en bloc l'existence d'un droit chez les peuples
sans écriture ont disparu de la littérature juridique actuelle. Le fait est que « le
droit des ethnies sans écriture a, après tout, les mêmes caractères fonctionnels et
structuraux que le droit des pays développés : il assure un certain ordre social qui
a recours à des règles ayant une force effective. Bien entendu, il aura en même
■ 35. Exemple : le fait qu'une personne soit un « consommateur » (au sens sociologique ou économique
du terme) n'implique pas qu'elle soit perçue de la même manière (par exemple, comme étant dans une
situation d'ignorance) dans les divers pays observés.
■ 36. V. G. Samuel, An Introduction to Comparative Law Theory and Method, op. cit., p. 125-126.
■ 37. N. Rouland, Anthropologie juridique, PUF, coll. Droit fondamental, 1988, nº 21.
■ 38. Même la notion de « pré-droit » - utilisée pour désigner des sociétés dans lesquelles la sanction
n'est pas déterminée à l'avance, ne s'impose pas obligatoirement au juge et dans lesquelles n'existe pas
une forme de pouvoir (du type de l'État) autre que celle découlant de la hiérarchie parentale - n'échappe
pas à l'ethnocentrisme. Cette notion de « pré-droit » est en effet construite par rapport à la conception occidentale
et contemporaine du droit et laisse entendre que cette dernière constituerait le « véritable » droit.
Première partie : Les objets de la comparaisonjuridique
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. Enfin, il va sans dire que l'ap.

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