Grands colloques - Les langues régionales et la construction de l'État en Europe - 289

OLIVIER DUBOS, VICTOR GUSET

281

lois et de décrets qui changent l'ordre social et ainsi de pouvoir leur obéir
et les exécuter : « Les Lumières portées à grands frais aux extrémités de la
France s'éteignent en y arrivant, puisque les lois n'y sont pas entendues »
(Barère de Vieuzac). Il pourra ainsi participer au commerce des idées :
« On peut uniformiser le langage d'une grande nation, de manière que
tous les citoyens qui la composent puissent sans obstacle se communiquer
leurs pensées. » La diversité linguistique est un obstacle à la circulation.
L'abbé Grégoire voudrait donc « qu'une police sage fît rectifier cette
foule d'enseignes qui outragent la grammaire et fournissent aux étrangers
l'occasion d'aiguiser l'épigramme ; je voudrais qu'un plan systématique
répudiât les dénominations absurdes des places, rues, quais et autres lieux
publics ». Et finalement c'est la richesse de la Nation qui est en cause : « Pour
perfectionner l'agriculture et toutes les branches de l'économie rurale, si
arriérées chez nous, la connaissance de la langue nationale est également
indispensable. Rozier observe que, d'un village à l'autre, les cultivateurs
ne s'entendent pas ; après cela, dit-il, comment les auteurs qui traitent de
la vigne prétendent-ils qu'on les entendra ? » Grégoire comme Barrère de
Vieuzac en conclut donc à l'indispensable nécessité de propager le français
dans la population.
2. Pour Grégoire, la diffusion du français ne peut s'opérer que s'il se
réforme. À la suite de son rapport, « la Convention nationale décrète :
le comité d'instruction publique présentera un rapport sur les moyens
d'exécution pour une nouvelle grammaire et un vocabulaire nouveau de
la langue française. Il présentera des vues sur les changements qui en faciliteront l'étude et lui donneront le caractère qui convient à la langue de la
liberté. » L'État libéral se montre ici très interventionniste, comme l'État
monarchique plus ou moins absolu, qui l'a précédé, il se veut le maître des
questions linguistiques.
Les conclusions tirées par la Convention nationale du rapport Barrère
de Vieuzac concluent à :
« Art. I. Il sera établi dans dix jours, à compter du jour de la publication
du présent décret, un instituteur de langue française dans chaque commune
de campagne des départements du Morbihan, du Finistère, des Côtes-duNord et dans la partie de la Loire-Inférieure dont les habitants parlent
l'idiome appelé bas-breton.
Art. II. Il sera procédé à la même nomination d'un instituteur de la
langue française dans chaque commune des campagnes des départements
du Haut et Bas-Rhin, dans le département de la Corse, dans la partie du
département de la Moselle, du département du Nord, du Mont-Terrible,
des Alpes-Maritimes, et de la partie des Basses-Pyrénées dont les habitants
parlent un idiome étranger.

Grands colloques - Les langues régionales et la construction de l'État en Europe

Table des matières de la publication Grands colloques - Les langues régionales et la construction de l'État en Europe