Grands colloques - Les langues régionales et la construction de l'État en Europe - 47

JORDANE ARLETTAz

société croate plurielle, le Comité regrette qu'aucune explication spécifique
n'ait été fournie à la population concernant la possibilité d'indiquer des
appartenances multiples52 ». Il s'agit là de la position constante du Comité
consultatif qui, sur cette question, se retrouve ainsi dans les recommandations faites aux autres États-partis53. Au demeurant, cette transformation
dans l'appréhension du rapport de l'individu à la langue n'est pas circonscrite au champ du droit des minorités. Le débat qui agite depuis quelques
années la Suisse et concernant, sous la pression de votations populaires,
l'apprentissage obligatoire d'une seconde langue nationale de l'État54, participe de ce temps nouveau où la politique linguistique nationale se trouve
confrontée au phénomène de mondialisation et de libre circulation. La
« paix par la langue » implique en effet en Suisse que la seconde langue
enseignée à l'école soit l'une des quatre langues nationales reconnues dans
la Constitution helvétique ; or, certains cantons, majoritairement alémaniques, contestent cette réglementation, défendant l'apprentissage précoce
de l'anglais comme langue plus propice à l'insertion professionnelle future
des enfants55.
Sans doute est-il possible de noter que ces nouveaux enjeux furent saisis
dès les années 1980 par la Cour suprême du Canada qui définissait déjà le
lien personnel d'un individu à la langue en affirmant que « les Canadiens
sont libres d'affirmer que l'une ou l'autre langue officielle est la leur » ;
selon elle, en effet, « une méthode simple, comme la langue maternelle ou
la langue employée à la maison, ne convient pas, notamment parce qu'elle
n'offre pas de solution pour de nombreuses situations possibles dans une
société multiculturelle et ne répond pas au fait que la langue n'est pas une
caractéristique statique56 ». Le principe juridique d'officialité, porteur de
sens, se trouve alors confronté à la multiplicité des sens que l'individu
souhaite donner à la langue.
Le travail du juriste, dans le domaine des langues, n'est donc pas vain ; il
permet de dévoiler une logique normative qui éloigne les notions de langues
régionales et de langues minoritaires de leur empreinte sociologique.
52. Comité consultatif de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales,
Quatrième Avis sur la Croatie adopté le 18 novembre 2015, ACFC/OP/IV (2015) 005.
53. Voir par exemple l'avis récemment rendu à l'égard de la Roumanie : « Le dernier
recensement effectué en Roumanie date d'octobre 2011. Cependant, le questionnaire ne
permettait pas aux personnes interrogées d'indiquer plus d'une appartenance ethnique ou
plus d'une appartenance linguistique (langue maternelle) ». Quatrième Avis sur la Roumanie
- adopté le 22 juin 2017 (ACFC/OP/IV [2017] 005).
54. S. fenazzi, « Et si les langues nationales n'étaient plus le ciment de la Suisse ? », swissinfo.fr [écoles et initiatives populaires].
55. F. grin, « Le débat sur les langues en quinze questions : arguments, faits et chiffres »,
Observatoire Économie - Langues - Formation, septembre 2014.
56. Cour suprême du Canada, R c. Beaulac, [1999] 1 RCS 768.

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